Chez les tireurs au pistolet, la période précédant le lâcher est un moment crucial pendant lequel le tireur prépare son lâcher en maintenant la visée. Cet alignement correct, du guidon et de la mire du pistolet avec la cible, nécessite de traiter l’information visuelle adéquate. Pour étudier les processus cognitifs, impliqués dans la période précédant le lâcher dans les sports où l’on vise une cible, les chercheurs utilisent l’électroencéphalogramme qui mesure l’activité électrique du cerveau dans différentes bandes de fréquence.

Les ondes alpha enregistrées au niveau du cortex occipital, qui reçoit de la rétine l’information relative à la visée, reflètent l’attention visuelle portée aux stimuli extérieurs. Une augmentation des ondes alpha au niveau occipital, avant le lâcher, est un indice d’une diminution de la quantité d’informations visuelles nécessaires au lâcher. D’autre part, les experts en tir à l’arc ou à la carabine se distinguent des non-experts par " une mise en sommeil " du cortex temporal antérieur de l’hémisphère gauche qui se traduit par une augmentation des ondes alpha dans les secondes qui précèdent le lâcher. C’est l’indication d’une économie de traitement cortical et d’une réduction des processus verbaux et analytiques avant le lâcher. Le but de cette étude est de vérifier qu’une cause du succès de la performance, chez les experts au tir au pistolet à air comprimé, est le niveau d’activité des ondes alpha dans la région occipitale.

MÉTHODES

Population :

6 membres de l’équipe de Grande-Bretagne masculine de tir au pistolet de l’Union Internationale de Tir ont été testés (âge moyen : 36,4 +/- 2,7 ans). Ils étaient tous droitiers manuels avec œil droit de visée.

Procédure :

60 tirs à 10 m ont été effectués selon les règles de l’UIT par les participants dont on enregistrait les encéphalogrammes et filmait la prestation en vidéo.

Mesures de performance :

Outre l’attribution des points selon les règles UIT, les performances étaient déterminées par l’analyse vidéo de chaque lâcher de chaque tireur, l’appréciation subjective de son tir par chaque tireur avant d’en connaître son score, et l’analyse technique à posteriori de chaque tir filmé. Lorsque les quatre indicateurs de bonne et mauvaise performance allaient tous dans le même sens, les électroencéphalogrammes étaient analysés. Les 5 meilleurs tirs (tous à 10) et les 5 moins bons (9 et moins) ont été étudiés chez chaque tireur.

Mesures électroencéphalographiques :

L’activité électrique cérébrale a été enregistrée à partir du site occipital médian (Oz) et des sites temporels antérieurs gauche (T3) et droit (T4), en référence à une électrode mastoïdienne. Les données brutes ont été soumises à un filtre passe-haut (0,5 Hz) et un filtre passe-bas (70 Hz), avec un gain de 30 000 appliqué au signal. Les enregistrements étaient synchronisés avec le lâcher par un microphone. Les 6 secondes précédant le lâcher étaient divisées en 3 épisodes de 2 secondes (épisode 1, 2, 3).

RÉSULTATS

La figure 1 (http://savoir-sport.org/apps/fiche/soleweb/Download.aspx?id=721&fichier=S5_figure1.doc ) présente le résultat concernant l’activité electroencéphalographique des ondes alpha, au niveau du site occipital : il existe une interaction statistiquement significative entre la qualité des tirs et l’épisode précédant le lâcher. Pendant les épisodes 1 à 3, l’activité alpha augmentent avant les meilleurs tirs et diminue avant les moins bons (la différence en épisode 3 est significative), c’est-à-dire que la mobilisation de l’attention visuelle diminue avant les meilleurs tirs et augmente avant les moins bons.

La figure 2 (http://savoir-sport.org/apps/fiche/soleweb/Download.aspx?id=721&fichier=S5_figure2.doc ) présente les résultats enregistrés aux niveaux temporaux antérieurs gauche (T3) et droit (T4) : on note une différence statistiquement significative entre les deux hémisphères. L’activité alpha est globalement plus importante à gauche qu’à droite, ce qui soutient l’hypothèse d’une réduction de l’activité verbale analytique (siégeant dans l’hémisphère gauche) dans les secondes précédant le lâcher. S’il n’y a pas de différence globale significative entre les meilleurs tirs et les moins bons, on met toutefois en évidence un effet de la qualité du tir pour l’hémisphère gauche : l’activité alpha y est plus importante au cours des épisodes 2 et 3, avant le lâcher des meilleurs tirs par rapport aux moins bons.

CONCLUSIONS

La présente étude met en évidence, chez les experts en tir au pistolet, une augmentation des ondes alpha dans l’hémisphère gauche, avant le lâcher. Ceci confirme l’idée d’une réduction de l’activité cognitive, notamment verbale analytique, en fin de période de visée chez les tireurs experts.

L’augmentation de l’activité alpha au niveau occipital, avant les meilleurs tirs, implique d’autre part que l’attention visuelle soit supprimée en fin de visée : ce serait là une condition nécessaire de l’état mental de l’expert au moment du lâcher d’un tir réussi, et un prérequis à une exécution automatique du tir.