S664 - La mesure de la perception de l'effort lors de tests sous-maximaux permet d'évaluer la puissance critique en cyclisme

De nos jours, la science nous permet d’affirmer qu’un sportif de haut niveau ayant une consommation maximale d’oxygène (VO2max) élevée (par exemple 75 ml.min-¹.kg-¹) sera avantagé dans les activités physiques de longue durée en comparaison d'un sportif de niveau plus modeste qui posséderait une VO2max plus faible (par exemple 60 ml.min-¹.kg-¹). Néanmoins, lorsque deux sportifs ont une VO2max identique, ils ne possèdent pas nécessairement des records similaires. En effet, selon Di Prampero et coll. (1986), la performance de longue durée ne dépend pas uniquement de la VO2max, mais aussi de l’efficacité de la foulée et de l’endurance aérobie.

L’endurance aérobie se définit comme la capacité d’un sportif à utiliser un pourcentage élevé de sa VO2max pendant une longue période de temps. En conséquence, un sportif peut compenser une moins bonne VO2max par une meilleure endurance aérobie (en tenant plus longtemps un haut niveau de VO2max que la moyenne des sportifs). Parmi les méthodes de détermination de l’endurance aérobie, le concept de « puissance critique » (PC), développé par Monod et Scherrer (1965), reste une des méthodes de terrain la plus fréquemment utilisée.

La perception de l’effort (RPE : Ratings of Perceived Exertion), qui se définit comme l’ensemble des sentiments d’effort, de contrainte, d’inconfort et de fatigue qu’un sportif éprouve durant un exercice (Noble et Robertson, 1996), est de plus en plus utilisée sur le terrain dans le cadre de l’entraînement sportif. En effet, il a déjà été montré que la RPE peut être utilisée pour divers objectifs, tels que la prescription d’intensités d’exercice, le contrôle des effets de l’entraînement, ou encore la prédiction de variables physiologiques (Noble et Robertson, 1996).

Parmi les variables physiologiques qui peuvent être prédites par la RPE, des indicateurs de l’endurance aérobie peuvent être proposés (Nakamura et coll., 2008 ; Nakamura et coll., sous presse). L’objectif de cette étude était donc de proposer une nouvelle méthode de terrain permettant de prédire la PC à l’aide du travail développé et de la durée d’effort à RPE15 ou RPE17 lors d’exercices sous-maximaux en cyclisme.

MÉTHODE

Vingt-deux jeunes hommes (âge : 23,0 ± 3,1 ans ; masse corporelle : 75,7 ± 9,6 kg ; taille : 177 ± 5 cm) ont réalisé six sessions d’exercice sur ergocycle. Ces sessions consistaient en deux tests de familiarisation et quatre tests exhaustifs à puissance constante.

LES DEUX TESTS DE FAMILIARISATION

Sur deux jours séparés, les participants réalisaient deux intensités d’exercice jusqu’à épuisement volontaire. Ces intensités étaient choisies de façon à ce que la durée des exercices soit comprise entre 1 et 10 min. L’objectif de ces tests était de familiariser les participants aux tests de détermination de la PC et à l’utilisation de l’échelle RPE.

LES QUATRE TESTS EXHAUSTIFS À PUISSANCE CONSTANTE

Quatre tests à puissance constante étaient maintenus jusqu’à épuisement. Les intensités étaient choisies de façon à ce que la durée des exercices soit comprise entre 1 et 10 min. Durant les quatre tests, la RPE était mesurée régulièrement.

Pour déterminer la PC réelle, l’équation suivante était utilisée (Monod et Scherrer, 1965 ; voir figure 1 : https://notyss.com/savoirsport/downloadfile?id=150&fichier=S664_figure1.doc ) :

                    Wlim = CTA + PC × Tlim

Dans cette équation, Wlim est le travail limite (en joules), CTA est la capacité de travail anaérobie (en joules), PC est la puissance critique (en watts), et Tlim est le temps limite (en secondes).

Comme la relation entre le Wlim et le Tlim est supposée être strictement linéaire (figure 1), la PC réelle correspond à la pente de cette relation, et peut être déterminée par l’équation suivante :

                     PC = (Wlimb – Wlima) ÷ (Tlimb – Tlima)

D’autre part, durant les quatre tests exhaustifs à puissance constante, RPE15 et RPE17 étaient utilisées pour estimer la PC. En effet, lors de chaque test, lorsque le sujet cotait la valeur de 15 et 17 sur l’échelle RPE, le travail développé et la durée de l’effort (i.e. le temps mis pour atteindre ces valeurs perceptives) étaient relevés. Ensuite, similairement à la détermination de la PC réelle (figure 1), la relation entre le travail (réalisé à RPE15 ou RPE17) et le temps (mis pour atteindre RPE15 ou RPE17) était tracée pour estimer la PC (PCRPE15 et PCRPE17). Une fois cette relation tracée (pour RPE15 et RPE17), les équations suivantes étaient utilisées pour estimer la PC :

                     PCRPE15 = (WRPE15b – WRPE15a) ÷ (TRPE15b – TRPE15a)?                     PCRPE17 = (WRPE17b – WRPE17a) ÷ (TRPE17b – TRPE17a)

RÉSULTATS

Les PC réelle (PC = 173 ± 45 Watts) et estimées (PCRPE15 = 177 ± 50 Watts ; PCRPE17 = 170 ± 49 Watts) n’étaient pas significativement différentes (p < 0,001). De plus, les corrélations entre la PC réelle et la PCRPE15 (r = 0,87 ; p < 0,001), et entre la PC réelle et la PCRPE17 (r = 0,91 ; p < 0,001) étaient élevées. D’autre part, les résultats indiquaient que les erreurs de prédiction étaient plus faibles pour PCRPE17 (Bais ± limites de concordance à 95 % = 1 ± 32 Watts) que pour PCRPE15 (Bais ± limites de concordance à 95 % = -3 ± 48 Watts).

DISCUSSION

Les résultats de cette étude suggèrent que la relation entre le travail réalisé à RPE15 (ou RPE17) et le temps mis pour atteindre cette valeur perceptive peut être utilisée pour prédire la PC. Ce résultat a une application pratique intéressante en cyclisme. En effet, cela signifie que les cyclistes ne sont pas obligés de réaliser des tests exhaustifs sur le terrain pour avoir un indice de leur endurance aérobie. Le fait d’éviter ces tests maximaux permet au cycliste de maintenir sa charge d’entraînement.

Selon le niveau de précision que l’entraîneur veut avoir par rapport à la prédiction de la PC, il devra faire un choix entre arrêter l’exercice à RPE15 ou à RPE17. S’il désire être le plus précis possible dans l’estimation de la PC, il stoppera l’effort de son cycliste à RPE17, tandis qu’il suspendra l’exercice à RPE15 s’il veut limiter la fatigue de son cycliste et qu’une précision modeste lui suffit.

Comme la PC est liée au pourcentage de VO2max maintenu pendant une période donnée, la PC (réelle ou estimée) peut être considérée comme un indicateur de l’endurance aérobie des cyclistes. De ce fait, estimer la PC permet d’évaluer les progrès physiologiques au niveau de l’endurance aérobie à la suite d’un programme d’entraînement. En effet, avec les améliorations physiologiques liées à un programme d’entraînement spécifique en endurance, la PC (réelle ou estimée) devrait être plus élevée si l’entraînement est efficace.

La mesure de la PC (réelle ou estimée) permet aussi de comparer le seuil d’endurance aérobie des sportifs. De ce fait, lorsque des choix sont à faire entre terme de sélection individuelle pour une équipe, et que les cyclistes ont des VO2max très proches, l’entraîneur peut se baser sur la PC afin de prendre en compte un autre déterminant de la performance de longue durée : l’endurance aérobie.

Enfin, plusieurs auteurs suggèrent que plus le sportif a un niveau de performance élevé, plus il est capable d’évaluer avec précision sa RPE à partir des sensations produites par l’exercice physique. De ce fait, la prédiction de la PC par les RPE collectées lors de tests sous-maximaux pourrait encore être plus précise chez des sportifs de haut niveau.

CONCLUSION

La PC peut être estimée précisément, lors de tests sous-maximaux en cyclisme, à l’aide de la relation entre le travail réalisé à RPE15 (ou à RPE17) et le temps mis pour atteindre cette valeur perceptive.

Source primaire

Nakamura FY, Okuno NM, Perandini LAB, SimÕes HG, Altimari LR, Bishop D. Non-exhaustive tests for critical power estimation. Science & Sport 2009;24(6):315-319.

Rédacteur

Jérémy Coquart
docteur en sciences et techniques des activités physiques et sportives Attaché de recherche clinique - Centre hospitalier Germon et Gauthier, Béthune, France Chercheur associé, laboratoire d’études de la motricité humaine, Ronchin, France Enseignant
http://site.voila.fr/coquart.jeremy

Éditeur

Martin Buchheit

Mots-clés

L’échelle RPE de Borg (1970), puissance critique, endurance aérobie, relation travail-temps, capacité aérobie maximale

Lectures suggérées

Di prampero PE, Atchov G, Brückner JC et Moia C. The energetics of endurance running. European Journal of Applied Physiology 1986;55(3):259-266.

Monod H et Scherrer J. The work capacity of synergic muscle group. Ergonomics 1965;8:329-338.

Nakamura FY, Okuno NM, Perandini LAB, Caldeira LFS, SimÕes HG, Cardoso JR et Bishop DP. Critical power can be estimated from non-exhaustive tests based on rating of perceived exertion responses. Journal of Strength and Conditioning Research 2008;22(3):937-943.

Nakamura FY, Okuno NM, Perandini LAB, De Oliveira FR, Buchheit M, SimÕes HG. Perceived exertion threshold: comparison with ventilatory thresholds and critical power. Science & Sport. Sous presse.

Noble BJ et Robertson RJ. Perceived exertion. In: Noble BJ et Robertson RJ (Ed). Champaign: Human Kinetics 1996.

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