S824 - L’entraînement polarisé s’accompagnerait d’une amélioration plus marquée de la performance cycliste que l’entraînement mettant l’accent sur le seuil anaérobie

Alors que la supériorité des séances d’entraînement par intervalles par rapport à celles de type continu fait consensus, on cherche encore les intensités cibles d’entraînement intermittent qui permettraient d’améliorer plus rapidement et de façon plus prononcée les déterminants de la performance dans les sports d’endurance.

À ce propos, une idée circule depuis plusieurs années dans les milieux sportifs : l’entraînement à des intensités égales ou proches du seuil anaérobie permettrait de repousser ce seuil et serait donc à préférer aux intensités plus faibles ou plus élevées.

Mais plusieurs scientifiques pensent que les séances d’entraînement à des intensités proches du seuil provoquent une plus grande fatigue que celles effectuées où d’autres intensités. Et l’examen de l’entraînement qu’effectuent les athlètes d’élite indique qu’ils s’entraînement relativement peu dans cette zone d’intensités. En réalité, ils misent plutôt sur des séances d’entraînement par intervalles à des intensités plus élevées, tout en accumulant un volume important à des intensités plus faibles que celles avoisinant le seuil anaérobie.

Par ailleurs, des observations effectuées auprès d’un coureur à pied de l’élite internationale (3:32,4 min:s au 1500 m) indiquent que la transition vers un entraînement mettant davantage l’accent sur des intensités plus petites et plus grandes que celles proches du seuil anaérobie s’accompagnent d’une amélioration de la consommation maximale d’oxygène (VO2max), de l’efficacité de la foulée et de la performance en course de demi-fond.

D’où l’idée mise de l’avant par deux chercheurs indépendants (le Norvégien Stephen Seiler et le Danois Torben Laursen) que la formule idéale serait l’entraînement polarisé. L’entraînement polarisé consiste à mettre l’accent sur les pôles d’intensités élevées et faibles, tout en évitant la fourchette d’intensités proches du seuil anaérobie.

Dans cette recherche, on a comparé l’effet de l’entraînement polarisé ou au seuil. On a défini trois niveaux d’intensités d’entraînement :
- niveau 1 : intensités sous le premier seuil anaérobie (lactatémie = 2 mM/L), c’est-à-dire
inférieure à environ 65 % du VO2max;
- niveau 2 : intensités entre le premier et le second seuil anaérobie (lactatémie entre 2 et
4 mM/L), c’est-à-dire généralement entre environ 65 % et 80 % du VO2max);
- niveau 3 : intensités supérieures au second seuil anaérobie (lactatémie = 4 mM/L), c’est-à-
dire généralement supérieure à 80 % du VO2max.

Douze cyclistes qui s’entraînaient depuis au moins quatre ans (7-8 h/sem) ont d’abord suivi l’un des deux protocoles d’entraînement (polarisé ou au seuil) pendant six semaines, puis se sont « désentraînés » pendant quatre semaines avant d’entreprendre l’autre protocole. Diverses mesures ont été effectuées avant et après chacune des deux périodes d’entraînement, pour en apprécier l’effet sur la performance et ses déterminants physiologiques.

Protocole d’entraînement polarisé : 6,4 heures par semaine; 80 % du temps au niveau 1, 20 % au niveau 3.

Protocole d’entraînement au seuil : 7,5 heures par semaine; 57 % du temps au niveau 1, 43 % au niveau 2.

Juste avant leur participation à la recherche, les sujets consacraient plutôt 53 %, 38 % et 9 % à l’entraînement à des intensités des niveaux 1, 2 et 3, respectivement.

Pendant les séances d’entraînement (de type continu) à des intensités de niveau 1, les sujets devaient avoir une fréquence cardiaque cinq battements par minute inférieure à celle correspondant à leur premier seuil anaérobie.

Pendant les séances d’entraînement à des intensités de niveau 2 (du protocole d’entraînement au seuil), les sujets pédalaient en continu pendant 60 minutes à une puissance à mi-chemin entre celles correspondant au premier et au second seuil anaérobie (donc environ 70-75 % du VO2max).

Pendant les séances d’entraînement à des intensités de niveau 3 (du protocole d’entraînement polarisé), les sujets faisaient six fractions d’effort de quatre minutes (intensité 5 % à 10 % plus élevée que celle correspondant au second seuil anaérobie) avec deux minutes de récupération passive ou presque (pédaler vers l’arrière, sans résistance).

Tous les sujets faisaient deux ou trois séances hebdomadaires à des intensités de niveau 1, en complément à leurs trois séances hebdomadaires intensives.

Résultats

Les sujets se sont améliorés davantage pendant leurs six semaines d’entraînement polarisé que pendant leurs six semaines d’entraînement au seuil, comme l’indique le tableau suivant.

*Voir le tableau en cliquant le lien plus bas**

* Seule différence qui n’atteignait pas le seuil pour être statistiquement significative.

L’analyse métabolomique des échantillons d’urine indique que les séances au seuil représentaient un stress métabolique plus important que les autres séances d’entraînement. (La métabolomique est une nouvelle science qui consiste à étudier l’ensemble des métabolites.)

Fait intéressant à souligner, pendant les quatre semaines entre les deux protocoles d’entraînement, les trois à cinq heures d’entraînement à des intensités du niveau 1 n’ont pas pu empêcher la diminution des qualités physiques : elles sont revenu au niveau où elles étaient avant la première période de six semaines d’entraînement ciblé. Par exemple, leur puissance aérobie maximale était de 359 watts à la fois avant la première et avant la seconde période d’entraînement de six semaines. Cela confirme la supériorité de l’entraînement intermittent intensif par rapport à l’entraînement continu d’intensité modérée.

Conclusion

Cette recherche, tout comme celles de trois autres équipes scientifiques (Ingham et coll., 2012; Muñoz et coll., 2014; Stöggl et Sperlich, 2014), suggère que l’entraînement polarisé donne de meilleurs résultats que l’entraînement mettant l’accent sur des intensités entre environ 65 % et 80 % du VO2max.

Mais attention! Il faudra mener d’autres recherches pour bien cerner les fourchettes d’intensité de fractions d’effort qui améliorent le plus les qualités physiques et la performance. En effet, il reste beaucoup de questions sans réponses, notamment les suivantes.

- Est-ce qu’on pourrait obtenir des améliorations encore plus prononcées si les séances
d’entraînement par intervalles intensives comprenaient des fractions d’effort d’intensité
plus élevée, par exemple 115 %, 150 % ou 175 % de la puissance aérobie maximale plutôt
qu’environ 85 % à 95 %, comme c’était le cas dans la présente étude?

- Est-ce vraiment le fait que le programme était « polarisé » que le rendait supérieur ou le
simple fait que les fractions d’effort des séances intensives du protocole polarisé étaient
d’intensités plus élevées que celles du protocole au seuil?

- Est-ce que le protocole d’entraînement au seuil n’a pas donné de bons résultats parce que
les sujets faisaient, avant la recherche, un entraînement où il y avait déjà 38 % du temps
d’entraînement effectué à des intensités proches du seuil anaérobie?

- Est-ce qu’un programme d’entraînement mettant l’accent sur des intensités proches du
second seuil anaérobie pourrait améliorer davantage la performance dans les sports
d’endurance sans s’accompagner d’un grand stress métabolique si ces séances étaient
intermittentes plutôt que continues? (Exemple : 30 fois 90 secondes à 85 % de la
puissance aérobie maximale avec des périodes de récupération de 60 secondes, plutôt que
60 minutes à 70-75 % de VO2max).

Source primaire

Neal CM et coll. (2013) Six weeks of a polarized training-intensity distribution leads to greater physiological and performance adaptations than a threshold model in trained cyclists. J Appl Physiol 114:461-71.
http://jap.physiology.org/content/jap/114/4/461.full.pdf

Rédacteur

Guy Thibault
Ph.D., Direction des sports et de l’activité physique, ministère de l’Éducation du Québec

Éditeur

Myriam Paquette
Direction du sport, du loisir et de l’activité physique, Ministère de l’Éducation, du loisir et du sport, gouvernement du Québec; et Université Laval

Mots-clés

Intensité d’entraînement, entraînement au seuil anaérobie, entraînement polarisé

Lectures suggérées

Ingham SA et coll. (2012) Training distribution, physiological profile, and performance for a male international 1500-m runner. Int J Sports Physiol Perform 7:193–95.
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/22634971

Laursen PB et DG Jenkins (2002) The scientific basis for high-intensity interval training: Optimising training programmes and maximising performance in highly trained endurance athletes. Sports Med 32(1):53-73.
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/11772161

Muñoz I et coll. (2014) Does polarized training improve performance in recreational runners? Int J Sports Physiol Perform 9:265-72.
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/23752040

Stöggl T et B Sperlich (2014) Polarized training has greater impact on key endurance variables than threshold, high intensity, or high volume training. Front Physiol 5:33.
www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3912323/pdf/fphys-05-00033.pdf

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