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S877 - S’auto-évaluer, une pratique de leadership

Le leadership est un ensemble de pratiques et de façons d’être qui peuvent s’apprendre et se perfectionner, et qui ont pour but de réaliser collectivement des projets au sein de son organisation. Kouzes et Posner (1993) indiquent que « lorsqu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes, les leaders remettent en question, inspirent, incitent, donnent l’exemple et encouragent ». Dans cette perspective, les leaders se remettent en question en se penchant sur leurs représentations, intentions, pratiques, réussites et erreurs pour constamment apprendre de leur expérience (Bourassa, Serre et Ross, 2007). C’est une intention commune chez les entraîneurs et même perçue comme étant une activité courante. Pourtant, la littérature démontre qu’il en est probablement autrement.

En effet, selon Ehrlinger, Johnson, Banner, Dunning et Kruger (2008) des recherches dans différents domaines indiquent que les compétences perçues diffèrent souvent des compétences réelles. De façon plus spécifique, ces auteurs ont montré que les personnes dont le niveau de compétence est faible ont tendance à se surestimer et que les personnes présentant un haut niveau de compétence ont tendance à être plus modestes dans leur auto-évaluation. À ce jour, les conclusions des études réalisées à propos de cet effet, nommé « Effet Dunning-Kruger », convergent vers une explication de ce phénomène. Selon Schlösser, Dunning, Johnson et Kruger (2013), les personnes incompétentes ne peuvent s’auto-évaluer adéquatement, parce qu’elles ne sont pas conscientes de tous les thèmes et de toutes les questions qui comptent vraiment pour manifester leur compétence. Elles sont incapables de reconnaître que leurs performances ne sont pas adéquates. Les personnes plus compétentes ont plus de facilité à être exactes parce qu’elles ont une meilleure compréhension de leur discipline.

Aucune étude ne semble avoir porté sur la manifestation de l’effet Dunning-Kruger chez les entraîneurs sportifs. Pourtant, si l’on se fie aux résultats des études réalisées dans d’autres domaines, les habiletés d’auto-évaluation semblent être à la base de la compétence : elles seraient autant son reflet que la source de son développement.

En effet, pour développer ses compétences, l’entraîneur(e) sportif doit être en mesure de porter un regard juste et critique sur ses façons de faire, tant à l’entraînement qu’en compétition. Il ou elle doit apprécier de façon constante, systématique et consciencieuse sa planification, son intervention et les effets obtenus. Ce processus est une démarche réflexive qui doit se baser sur des données brutes plutôt que sur les seules perceptions subjectives de l’entraîneur(e). Des données doivent être recueillies sur le terrain, auprès des athlètes, des collègues, ou encore des collaborateurs, à l’aide d’outils appropriés : questionnaires, grilles d’observation, inventaires de pratique, etc. L’entraîneur(e) doit faire une réflexion profonde pour bien cerner le sujet et les outils d’auto-évaluation.

S’auto-évaluer se concrétise par des actions. L’analyse et l’interprétation des données permettront à l’entraîneur(e) de suivre une démarche de changement selon un plan d’action bien établi. Pour cela, il ou elle doit cibler une problématique à résoudre, puis identifier des intentions ou des objectifs clairs et concrets à atteindre pour améliorer la qualité de sa pratique. De là, l’entraîneur(e) sélectionne la stratégie à suivre en la décomposant en étapes et s’assure ainsi d’avoir de petits gains. À chaque étape, il ou elle identifie clairement les personnes à impliquer et l’échéancier à respecter. En réalisant ce processus de façon cyclique, le fruit des auto-évaluations effectuées pendant les cycles précédents orientent les cycles à venir et assurent l’amélioration de l’intervention. Il est donc essentiel que les entraîneur(e)s manifestent d’excellentes habiletés d’auto-évaluation.

En conclusion, s’auto-évaluer est une pratique de leadership. Elle consiste à jeter un regard perspicace sur ses façons de faire, à prendre un recul pour se questionner avec ouverture et bienveillance. Elle nécessite de collecter des données brutes sur ses pratiques pour orienter leur interprétation et de prendre des risques en essayant de nouvelles façons de faire. À l’heure actuelle, nous avons très peu d’information à l’égard des habiletés d’auto-évaluation des entraîneur(e)s sportifs. Pourtant, elles constituent une pratique de leadership essentielle et méritent d’être développées dans les programmes de formation et de perfectionnement des entraîneur(e)s, tant comme stratégies d’apprentissage que comme stratégies d’évaluation. De plus amples recherches seraient donc nécessaires pour mieux comprendre les processus en jeu et offrir des conditions de formation appropriées.

Source primaire

Bourassa, B., Serre, F. et Ross, D. (2007). Apprendre de son expérience. Québec : Presses de l’Université du Québec.

Ehrlinger, J., Johnson, K., Banner, M., Dunning, D., et Kruger, J. (2006). Why the unskilled are unaware: Further explorations of (absent) self-insight among the incompetent. Organizational behavior and human decision processes, 105, 98-121.

Kouzes, J.M et Posner, B.Z. (1993). Inventaire des pratiques du leadership : Auto-évaluation et analyse. Montréal : Actualisation.

Schlösser, T., Dunning, D., Johnson, K.L et Kruger, J. (2013). How unaware are the unskilled? Empirical tests of the « signal extraction » counterexplanation for the Dunning-Kruger effect in self-evaluation of performance. Journal of Economic Psychology, 39, 85-100.

Rédacteur

Sacha Stoloff, Ph. D & Marie-Pier Charest, Ph.D.

Éditeur

Guy Thibault, Ph.D.

Mots-clés

Auto-évaluation, compétence, leadership

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