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S14 - Les stratégies de stabilisation de la carabine en tir de précision sont différentes chez les tireurs élites et pré-élites: les tireurs experts n'utilisent pas de régulation visuo-spatiale

En tir de précision, le lâcher du coup est précédé d’une courte période dont la gestion est capitale pour atteindre et maintenir un état de préparation optimum. La qualité de cette préparation, non seulement joue un rôle dans le succès du tir, mais traduit également des différences stratégiques de préparation entre tireurs élites et pré-élites.

Cette préparation a été étudiée du point de vue de la stabilité posturale du tireur et de la qualité de la visée au moment du lâcher, à partir de données comportementales. D’un point de vue psychophysiologique, l’analyse des potentiels corticaux lents a permis de traduire les modalités motrices et perceptives des stratégies mises en œuvre pendant la préparation et la mobilisation des ressources. Ces potentiels lents ont été étudiés en tir à l’arc et en golf comme mesure de l’activité attentionnelle. En tir, les travaux ont montré que ces potentiels lents sont également influencés par les aspects visuo spatiaux et moteurs de la préparation. Ainsi, les potentiels lents frontaux traduisent l’effort mental de régulation psychomotrice exercé par les tireurs élites pour atteindre un état de calme comportemental et une stabilité posturale. Les potentiels lents centraux latéraux sont plus caractéristiques des tireurs pré élites qui s’appuient davantage sur le traitement de l’information visuo spatiale de visée.

Le but de cette étude est d’analyser la préparation du lâcher du coup sous l’angle des stratégies de stabilisation de l’arme, du double point de vue comportemental (mouvements du canon) et psychophysiologique (potentiels cérébraux lents).

MÉTHODE

Population :
12 hommes droitiers tireurs à la carabine : 6 sont classés élites (membres de l’équipe olympique finnoise ; âge moyen : 31,8 ± 7,5 ans ; meilleur score moyen en compétition : 1 166,2 ± 5,6 points sur 3x40 tirs), et 6 sont classés pré-élites (nationaux sans compétitions internationales ; âge moyen : 30,2 ± 3,5 ans ; meilleur score moyen en compétition : 1 142,7 ± 9,2 points sur 3x40 tirs).

Procédure :
En tenue de tir, et après 5 à 10 tirs d’entraînement, chaque tireur réalise 200 tirs enregistrés en position debout à 18 m de la cible.

Mesures de performance :
Les mesures de stabilité de l’arme sont réalisées avec le système laser Noptel pour carabine dont la cible optique réceptrice du signal laser est située sous la cible réelle. Sont considérés comme scores élevés, les tirs marquant 10 et 9 points, les scores bas sont inférieurs à 9 ;

Mesures électro-encéphalographiques :
Les potentiels cérébraux lents préparatoires aux lâchers sont enregistrés sur 3 sites :
- frontal médian (Fz) : effort mental de régulation psychomotrice
- central latéral gauche (C3) : traitement de l’information visuo spatiale de visée.
- central latéral droit (C4) : traitement de l’information visuo spatiale de visée.

Une différence (C3-4) négative traduit une plus grande activité de l’hémisphère gauche (contrôlant le bras droit des tireurs droitiers). Une différence positive traduit une plus grande activité de l’hémisphère droit pour analyser l’information visuo-spatiale.

RECUEIL DES DONNÉES

Les mouvements du canon étaient enregistrés sur 6 secondes avant le lâcher, moyennés sur 4 périodes successives de 1,5 secondes (1-4). Sur chaque période, la longueur du côté du carré (en mm), incluant 95 % des déplacements du faisceau laser, représentait l’amplitude des déplacements. Les potentiels corticaux lents (débarrassés des essais contaminés par des artefacts liés aux mouvements des yeux), étaient enregistrés sur les 7,5 secondes qui précèdent le lâcher, moyennés sur 5 périodes de 1,5 secondes Pour les ondes Fz, les variations des 4 dernières périodes (1-4) ont été analysées par rapport à la première période (0), servant de référence. La même procédure a été appliquée à la différence C3-C4 à chaque mesure de chaque tir.

RÉSULTATS

Données comportementales :
La figure 1 (https://notyss.com/savoirsport/downloadfile?id=712&fichier=S14_figure1.doc ) présente l’amplitude moyenne des déplacements du canon de la carabine au cours des 4 dernières périodes en fonction du niveau d’expertise des tireurs (élite et pré-élite) et de la qualité des tirs (score élevé et bas). L’analyse statistique montre :
- un effet significatif du facteur "groupe" : les tireurs élites sont capables d’atteindre et de maintenir une meilleure stabilité de la carabine que les tireurs pré élites ;
- un effet significatif du facteur "score" indiquant que la stabilité de l’arme discrimine les scores élevés des scores bas dans les 2 groupes.

Données psychophysiologiques :
Fz (effort mental de régulation psychomotrice). Les résultats témoignent d’une augmentation de l’activité des ondes lentes frontales dans les 2 groupes au fur et à mesure que l’on se rapproche de l’instant du lâcher (voir figure 2: https://notyss.com/savoirsport/downloadfile?id=712&fichier=S14_figure2.doc ) C3-4 (>0 = plus grande activité de l’hémisphère droit pour analyser l’information visuo-spatiale). L’évolution de la différence C3-4 chez les tireurs pré élites met en évidence une augmentation plus importante d’activité dans l’hémisphère droit que dans le gauche, alors que l’on ne note pas d’évolution de la différence chez les tireurs élites (voir figure 3: https://notyss.com/savoirsport/downloadfile?id=712&fichier=S14_figure3.doc ).

Relations entre les données comportementales et psychophysiologiques :
L’analyse des données montre que les variations des potentiels lents cérébraux au cours des 4 dernières périodes qui précèdent le lâcher, sont associées au degré de stabilité de la carabine (bonne, moyenne, faible), mais que cet effet dépend du niveau d’expertise du tireur. La figure 2 montre que chez les tireurs pré-élites, l’activité frontale en Fz augmente significativement avec le degré de stabilisation de l’arme : ce qui traduit l’effort psychomoteur fait pour stabiliser activement l’arme au cours de la préparation. Chez les tireurs élites, on observe l’effet inverse : l’activité en Fz augmente lorsque la stabilité de la carabine diminue au cours de la préparation, ce qui traduit un effort pour restabiliser l’arme.

La différence C3-4 (témoin du traitement d’information visuo-spatiale) augmente pendant la préparation du tir lorsque la stabilité de la carabine augmente chez les tireurs pré-élites. Chez les tireurs élites, on n’observe pas de variation significative de la différence d’activité entre les 2 hémisphères tout au long de la préparation.

CONCLUSION

Le degré de stabilité de la carabine est significativement lié aux scores réalisés et différencie les tireurs élites des tireurs pré-élites. Il semble donc être un facteur important de succès en tir de précision. Le degré de stabilité de l’arme est en relation avec l’activité cérébrale lente, et cette relation dépend du niveau d’expertise et traduit des stratégies différentes.

Chez les tireurs élites :
- Les ondes lentes frontales en Fz augmentent lorsque le degré de stabilisation de la carabine diminue. Cette stratégie révèle qu’un effort mental volontaire n’est pas nécessaire pour atteindre l’immobilité de la carabine, mais pour corriger activement l’instabilité de l’arme, comme c’est le cas pour les oscillations posturales du tireur expert.
- Les modifications des ondes lentes centrales latérales C3-4 entre les 2 hémisphères ne varient pas avec le maintien de l’immobilité de l’arme au cours de la préparation : les tireurs experts n’utilisent pas (ou peu) d’information visuo-spatiale pour stabiliser l’arme.

Chez les tireurs pré-élites :
- Les ondes lentes frontales en Fz augmentent lorsque la stabilité de l’arme augmente : un effort psychomoteur volontaire est nécessaire pour stabiliser activement l’arme.
- La différence C3-4 augmente positivement quand la stabilité de la carabine s’améliore, ce qui indique qu’une plus grande activité de l’hémisphère droit pour traiter l’information visuo-spatiale est nécessaire pour stabiliser l’arme.

En pratique, cela signifie que :
- les tireurs élites n’utilisent un effort psychomoteur actif que si l’arme n’est pas stable, sans faire appel à l’information visuo-spatiale ;
- les tireurs pré-élites cherchent à stabiliser volontairement l’arme en s’appuyant sur 2 mécanismes : un effort psychomoteur et une régulation visuo-spatiale.

Les tireurs élites stabilisent l’arme pour lâcher leur coup, les tireurs pré-élites lâchent leur coup dès que l’arme est stable.

Source primaire

Rifle-balancing in precision shooting : behavioral aspects and psychophysiological implications - KONTTIGEN, N., LYYTINEN, H. & VIITASALO, J. 1998 Scandinavian Journal of Medicine & Science in Sport, 8, 78-83.

Rédacteur

Jean-François Stein
Laboratoire Mouvement, Action et Performance, département des sciences du sport, INSEP
http://labomouvement.campus-insep.com

Éditeur

Chantalle Thépaut-Mathieu
Docteur es sciences, chef du département des sciences du sport, INSEP
http://sciences.campus-insep.com

Mots-clés

Comportement électroencéphalographie, mesures, psychologie, tir à l'arme d'épaule, Analyse de la performance

Lectures suggérées

CREWS D.-J. & LANDERS D.-M. Electroencephaligraphic measures of attentional patterns prior to the golf putt. 1993 Med. Sci. Sports Exerc. 1 : 116-26.

ERA P., KONTTINEN N., METHO P., SAARELA P & LYYTINEN. Postural stability and skilled performance - A study on top-level and naïve rifle shooters. 1996 J. Biomech. 29 : 301-6.

KONTTINEN N., LYYTINEN H. & KONTTINEN R. Brain slow potentials reflecting successful shooting performance. 1995 Res. Q. Exerc. Sport : 66 : 64-72.

LANDERS D.-M., PETRUZZELLO S.-J., SALAZAR W. et al. The influence of electrocortical biofeedback on performance in pre elite archers. 1991 Med. Sci. Sports Exerc. 23: 123-9.

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