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S119 - Dans les sports duels, il est important de développer à l'entraînement les habiletés décisionnelles qui seront mobilisées en compétition

On sait que les entraîneurs ont tendance à gérer les temps et séquences d'entraînement, ainsi que leur impact en termes de fatigue physique et mentale, en fonction des qualités essentielles nécessaires en compétition. Schématiquement, on aurait une dominante technique en gymnastique, cardio-pulmonaire en fond, technico-tactique en sports collectifs, etc. Dans les sports duels, ainsi qu’en sports collectifs, on connaît dans une certaine mesure la prise en compte des schémas tactiques, leur mémorisation ainsi que leur mise au point à l’entraînement. L’entraîneur indique, en début de match, au cours des temps morts, ou du bord du terrain, un schéma tactique travaillé à l’entraînement, schéma plus ou moins bien suivi par les joueurs en cours de match.

On connaît par contre assez mal la façon dont les joueurs réalisent leurs apprentissages, modifient leurs choix sur le court terme et en cours de compétition. En fait, on sait assez peu de choses sur leurs propres motifs de changement de stratégie.

Les recherches empiriques de C. SEVE j. SAURY j THEUREAU et M. DURAND tendent à montrer, entre autres, l’importance des mécanismes de transformation des choix tactiques en cours de compétition. Cette étude analyse la construction et les changements de tactique en cours de compétition chez 3 pongistes volontaires titulaires de l’équipe de France et de niveau "Élite". Elle porte sur un total de 5 matchs de niveau mondial.

Le recueil des données est effectué de la façon suivante :
- enregistrement vidéo en cours de match,
- enregistrement vidéo en cours d'entretien post-match où les joueurs sont invités à décrire et à commenter leur activité en cours de match devant un chercheur lui-même expert en tennis de table.

L'ensemble des données permet d'aboutir sur un tableau prenant en vis-à-vis :
- le score,
- les actions pratiques des pongistes,
- le commentaire post-match.

Un extrait est donné à titre d’illustration dans le tableau joint.

Le traitement des résultats fait apparaître :
- une évolution dans la façon dont les pongistes construisent leur match.

Au début du match, les pongistes cherchent prioritairement à construire et à valider les connaissances (des coups, des régularités, points forts et faibles de l’adversaire) susceptibles de leur assurer la victoire. Ils testent les réactions de l’adversaire et s’accordent, dans une certaine mesure, un droit à l’erreur. En fin de match, par exemple dans les deux derniers sets, il n’y a plus de coups exploratoires, le joueur bascule sur la qualité de l’exécution. En fin de match, on ne teste plus, on essaie de bien jouer.

- La validation de ce que l’on sait sur l’adversaire s’effectue selon différentes modalités. Les pongistes débutent les matchs sur la base de savoirs ou de croyances construites antérieurement - parce qu'ils ont déjà rencontré leur adversaire, - et/ou parce que l'entraîneur dispose d'une base de données ou de séquences vidéo. Pendant la première partie du match, comme il a été dit, ces connaissances sont validées ou invalidées.

- La validation de ce que l’on sait sur l’adversaire avant le match (la représentation de ses points forts et faibles) est effectuée après une seule confirmation, alors que l’invalidation a lieu après plusieurs infirmations (3 à 5). Ceci révèle le caractère conservateur des pongistes. Les pongistes restent très fidèles aux tactiques leur ayant permis de vaincre l’adversaire lors d’un précédent match. Dans ce cas, l’invalidation confirmée est très coûteuse en points.

- Les nouvelles connaissances sur l’adversaire sont très fréquemment bâties en cours de match sur la base d’une seule observation. Dans ce cas, la validité est faiblement garantie et peut engendrer des erreurs.

- Les connaissances peuvent être des règles de fait (voir tableau score 0-0) ou bien des connaissances sous forme d’hypothèses explicatives pour rendre compte d’un fait (voir tableau score 1-1).

- Les modalités de validation et de construction, bien que très diverses, ont toutes un point commun : les faits qui avaient du sens pour les pongistes dépendaient de leurs attentes, de leur structure de préparation. Les pongistes modifiaient la plausibilité de certaines connaissances en fonction de leurs préoccupations dominantes. Les connaissances acquises validées plusieurs fois en cours de match étaient alors utilisées pour les matchs futurs.

CONCLUSION

On peut penser que l’apprentissage au cours d’une compétition diffère de l’apprentissage en cours d’entraînement. Les entretiens réalisés avec les entraîneurs montrent que ces derniers considèrent avant tout les aspects techniques et tactiques. Lors de l’entraînement, ils interviennent essentiellement pour focaliser l’attention des pongistes sur un élément particulier des gestes, développant par là d’abord les qualités motrices. De plus, certaines situations d’entraînement demandent une coopération entre des joueurs (qui se connaissent souvent très bien). Cette coopération est à l’inverse des intérêts antagonistes connus en compétition. L’activité en compétition ne consiste donc pas en la simple reproduction d’habiletés motrices et décisionnelles acquises lors de la pratique d’entraînement, mais dans une réaction à une situation originale propre à la compétition. Il semble que le travail de ces mécanismes soit généralement peu abordé au cours des entraînements.

COMMENTAIRE DU RÉDACTEUR

Cette étude est d’abord intéressante par sa valeur heuristique. L’inférence qui pourrait en être faite (par exemple, sur le système de validation ou d’invalidation des connaissances), à partir d’un faible nombre de joueurs et de matchs, ne serait que hasardeuse d’autant que les auteurs le précisent : l’activité (et donc son analyse) est « située » et donc indissociable de la situation dans laquelle elle prend forme. La méthode employée est, par contre, très riche bien que très coûteuse en temps. Elle pourrait être employée presque telle quelle par l’entraîneur pour le développement des habiletés décisionnelles, notamment dans les sports duels. Elle pose la problématique des modifications de choix tactiques en cours de match, là où parfois l’entraîneur est absent. Elle ouvre la voie à l’entraînement conçu en termes de coopération entre le joueur et l’entraîneur. Elle donne des perspectives sur l’intérêt des simulateurs décisionnels en entraînement.

Source primaire

La construction de connaissances chez des sportifs de haut niveau lors d’une interaction compétitive. SEVE C., SAURY J., THEUREAU J., DURAND M. 2002 Le travail humain, n°2, tome 65.

Rédacteur

Jean-Émile Mazer
Professeur agrégé E.P.S. Diplômé de l’INSEP

Éditeur

Gilbert Avanzini
Maître de Conférence, Unité d’Aide à la Performance - Département du sportif de Haut Niveau de l’INSEP

Mots-clés

Auto-évaluation, managérat, préparation tactique, processus d'apprentissage, Stratégie, tactique, techniques sportives, analyse de la performance gestion de la compétition, préparation à la performance

Lectures suggérées

SAURY J., DURAND M., & THEUREAU J. L’action d’un entraîneur expert en voile en situation de compétition : étude de cas. Contribution à une analyse ergonomique de l’entraînement. 1997 Sciences et Motricité, 21, 21-35.

SEVE C. Tennis de Table : entraînement et compétition. 2000 Montrouge : FFTT.

SEVE C. Dynamique et signification de l’activité des pongistes en match. 2001 In : E. LOUIS (Ed.) - Sports de raquette, Entre théorie et pratique (pp 89-99) Paris revue E.P.S.

THEUREAU J. Le cours d’action : analyse semio-logique. 1992 Berne : Peter Lang

VARELA R.-J. Autonomie et connaissance. Essai sur le vivant. 1989 Paris : Le Seuil.

VICKERS J.-N. Entraînement à la prise de décision : une nouvelle approche de l’entraînement. Traduit par Jean-Pierre.Brunelle@USherbrooke.ca . Publié par CABC 1367 West Broadway, CB V6H ‘A9 Canada : info@coaches.bc.ca

Sports ciblés

Sports duels, Sports collectifs

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