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S312 - Certaines pratiques de contrôle de poids appliquées par des entraîneurs de gymnastique provoquent des conséquences négatives qui se traduisent souvent par des désordres alimentaires

La majorité des travaux sur les désordres alimentaires suggère que les femmes athlètes qui pratiquent les sports tels que la danse, la gymnastique, et le patinage artistique sont plus susceptibles d’être insatisfaites de leur corps et d’être diagnostiquées avec un trouble de l’alimentation que les femmes athlètes qui ne pratique pas ce type de sport (O’Connor, Lewis, & Kirchner, 1995). Plusieurs études attribuent ce haut taux de désordres alimentaires dans les sports esthétiques à l’emphase mise sur la minceur extrême (Garner, Garfinkel, Rockert, & Olmsted, 1987). Par exemple, une étude menée auprès de jeunes gymnastes retraités par Kerr et Dacyshyn (2000) a révélé que durant leur carrière, les gymnastes étaient soumises à des prises de poids journalières, à des tests de gras une fois par mois ainsi qu’à l’affichage public de leur poids suivi par des punitions advenant le cas où leur poids était jugé trop élevé par leur entraîneur. Ces gymnastes rapportaient donc que l’emphase mise sur leur poids et leur taille leur faisait vivre un stress constant et que certaines d’entre elles étaient encore aux prises avec des problèmes d’alimentation. Il a été démontré que les problèmes d’alimentation développés par les gymnastes étaient provoqués suite à la pression à réduire leur poids, ressentie de la part des entraîneurs, des juges et des collègues gymnastes (Sundgot-Borgen, 1994). Il a été rapporté que 67% des athlètes ayant le diagnostique de troubles alimentaires avaient reçu la consigne de leur entraîneur d’entreprendre une diète (Sundgot-Borgen, 1994). De ces gymnastes, seulement 10% d’entre elles étaient guidées dans leur processus de perte de poids. Il est important de noter que 75% des gymnastes qui n’avaient pas développé de troubles alimentaires, étaient guidées dans leur processus de perte de poids. Le but de la présente étude était donc de mieux comprendre les pratiques de contrôle de poids et comportements des gymnastes face à l’alimentation. Les perceptions des gymnastes retraités, des gymnastes actives, des parents, des entraîneurs et des juges en lien avec les pratiques de contrôle de poids et l’alimentation ont été recueillies.

Un totale de 95 gymnastes âgées entre 11 et 20 ans et encore impliquées dans les compétitions ont été approchées pour participer à l’étude. Dans ce groupe, 65% des gymnastes ont acceptées de participer à l’étude. Pour ce qui est des parents, 62 d’entres eux ont participé, ce qui représente 59% des parents approchés. Seulement 19% des entraîneurs ont répondu à l’invitation alors que 57% des juges l’ont fait. Enfin, 67% des gymnastes à la retraite ont participé à l’étude. Les participants représentaient différentes régions du Canada. Tous se devaient de remplir un questionnaire recueillant leurs perceptions sur les comportements reliés à l’alimentation et au contrôle de poids. Le seul fait que seulement 19% des entraîneurs aient répondus au questionnaire représente un résultat intéressant en soit. Selon les auteurs de l’article, ce faible taux de réponse des entraîneurs indiquerait peut-être que ceux-ci craignaient d’être blâmés pour les problèmes d’alimentation chez leurs athlètes. Il a également été rapporté que certaines gymnastes avaient reçu l’ordre de ne pas participer à l’étude, ce qui expliquerait possiblement le plus haut taux de réponse chez les gymnastes à la retraite par rapport aux gymnastes actives.

Des résultats intéressants ont également fait surface en comparant les réponses des parents et des entraîneurs concernant les comportements de ces derniers. Par exemple, 7% des parents croyaient que les entraîneurs demandaient à leurs gymnastes d’enregistrer la nourriture ingérée durant la journée, pendant que 25% des entraîneurs rapportaient utiliser cette approche. De plus, 15% des parents rapportaient que les entraîneurs recommandaient à leurs gymnastes de perdre du poids, pendant que seulement 4% des entraîneurs affirmaient l’avoir fait. Ces écarts de perceptions entre les parents et les entraîneurs peuvent s’expliquer de différentes façons. Par exemple, peut-être que les parents rapportaient les comportements des entraîneurs qui avaient refusé de participer à l’étude alors que les entraîneurs qui avaient accepté de participer n’adhéraient pas à ces comportements. De plus, il est possible que l’intensité de l’entraînement des gymnastes amène les entraîneurs à passer plus de temps avec elles que les parents et donc les parents sont par conséquence moins au fait de l’interaction gymnaste-entraîneur (Kerr, Berman, & De Souza, 2006).

Un autre résultat intéressant lié au comportement des entraîneurs a fait surface lors de l’analyse des questionnaires. Les entraîneurs qui ont répondu au questionnaire, ont rapporté ne jamais ou rarement utiliser des pratiques de contrôle de poids malsaines tandis que ces pratiques ont été rapportées comme étant régulièrement utilisées par d’autres entraîneurs. Ceci nous indique que probablement les entraîneurs qui ont participé à l’étude n’utilisaient pas ces techniques de contrôle de poids, alors que les entraîneurs qui ont refusé de participer utilisent ces techniques. Accepter cette affirmation revient à dire que des techniques de contrôle de poids malsaines sont encore utilisées dans le milieu de la gymnastique (Kerr et al., 2006). Ce qui nous porte à croire que les entraîneurs qui ont refusé de participer savent que leurs pratiques ne sont pas nécessairement acceptées par la majorité de la population. Une entraîneure avait effectivement confié qu’elle refusait de participer à l’étude en sachant que certaines pratiques qu’elle utilise n’étaient pas acceptées par la majorité de la population.

On remarque des différences entre les résultats des gymnastes à la retraite et celles encore actives. Les gymnastes encore actives ont décrit leur expérience comme étant beaucoup plus positive que les gymnastes à la retraite. À cet effet, les gymnastes ont rapportés avoir moins de désordres alimentaires (3%) ou de comportements alimentaires malsains (18%) que les gymnastes à la retraite (20% et 73%, respectivement). Tel que suggéré par Kerr et Dacyshyn (2000), plusieurs gymnastes ne reconnaissent pas certaines pratiques comme étant inappropriées lorsqu’ils sont dans leur sport, tandis qu’elles identifient ces mêmes pratiques comme étant inappropriées ou même abusives une fois à la retraite. Cela s’expliquerait peut-être en partie par l’autorité de l’entraîneur ou l’influence de la culture du sport de la gymnastique en générale qui est moins présente une fois à la retraite (Kerr et al., 2006). Une autre explication pour la différence de perception entre les deux groupes de gymnastes, serait que les patrons d’alimentation malsaine ont tendance à se manifester tôt à l’adolescence (11-14 ans), tandis que les désordres alimentaires sérieux apparaîtraient plus tard dans l’adolescence (15-18 ans). Ainsi, les désordres alimentaires seraient plus présents chez les gymnastes à la retraite. D’autres recherches à ce sujet seront nécessaires pour éclaircir ces points.

Suite à l’analyse de ces résultats, les parents, les athlètes et les juges recommandaient un changement de mentalité en rapport avec l’image corporelle des gymnastes. Il a été suggéré que la société, les médias et la culture de la gymnastique étaient responsables pour l’emphase mise sur la minceur et le corps parfait, donc responsables des problèmes de désordres alimentaires. Il est à noter que les entraîneurs se dissociaient de ces recommandations. Un autre thème commun qui a émergé chez les parents, athlètes et juges concernait le rôle de l’entraîneur. Selon eux, il serait bénéfique d’aider les entraîneurs à mieux utiliser le contrôle qu’ils possèdent sur leurs athlètes. Il serait également impératif de rappeler aux entraîneurs comment des commentaires à l’égard du corps et de l’image des jeunes gymnastes peuvent avoir un impact important sur sa santé. Un grand nombre d’entraîneurs ne sont malheureusement pas préparés et outillés adéquatement pour gérer des problèmes de nutrition, de poids, et de désordres alimentaires chez les jeunes athlètes (Griffin & Harris, 1996). Par exemple, une gymnaste ne devrait pas se faire dire de perdre du poids seulement sur la base de l’apparence visuelle, donc de l’observation. Il serait donc intéressant de créer des cliniques de sensibilisation à ces sujets si cruciaux pour le bien-être des gymnastes. Des programmes de sensibilisation auprès des gymnastes et des parents seraient également bénéfiques.

En conclusion, cette étude confirme que des comportements alimentaires malsains et des désordres alimentaires sont provoqués par des pratiques reprochables du contrôle de poids et de l’image de la jeune gymnaste. L’importance de l’image dans la société et dans la culture du sport combiné à l’influence des entraîneurs a été mise en évidence. Cette étude est limitée dans le sens où les comportements des participants qui ont refusé de participer ne peuvent pas être évalués. Toutefois, cette étude relate bien l’importance de mieux informer les entraîneurs des conséquences négatives de certaines pratiques de contrôle de poids. Le bien-être des jeunes gymnastes se doit d’être pris en considération.

Source primaire

Kerr, G, Berman, E, De Souza, MJ. Disordered eating in women’s gymnastics: Perspectives of athletes, coaches, parents, and judges. Journal of Applied Sport Psychology 2006; 18, 28-43.

Rédacteur

Julie Senécal
M.A. Consultante en psychologie du sport, Montréal, Québec

Éditeur

André Fournier
directeur INS Québec - Montréal

Mots-clés

Désordres alimentaires, contrôle de poids

Lectures suggérées

Griffin, J, Harris, M. Coaches’ attitudes, knowledge, experiences, and recommendations regarding weight control. The Sport Psychologist 1996; 10, 180-194.

Kerr, G, Dacyshyn, A. The retirement experiences of elite female gymnasts. Journal of Applied Sport Psychology 2000; 12, 115-133.

Sundgot-Borgen, J. Risk and trigger factors for the development of eating disorders in female elite athletes. Medicine and Science in Sports and Exercise 1994; 26, 414-419.

Sports ciblés

Gymnastique

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