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S892 - Quel est l’impact physiologique du port d’un masque protecteur antiviral pendant l’entraînement à intensité sous-maximale?

Dès lors que le port d’un masque protecteur antiviral est recommandé ou obligatoire pour réduire le risque d’infection, on peut se demander quels en sont les impacts physiologiques pendant l’effort, par exemple pendant des séances d’entraînement.

Y a-t-il alors :
• hypoxie (diminution de la concentration d’oxygène, O2, dans l’air inspiré)?
• hypercapnie (augmentation de la concentration de dioxyde de carbone, CO2, dans l’air inspiré)?
• réduction de la saturation de l’hémoglobine en O2?
• risque pour la santé?

Une recherche approfondie de la littérature sur le sujet indique que seulement quelques groupes de recherche se sont intéressés à ces questions. Cet intérêt se concentre principalement sur les efforts sous-maximaux bien qu’une première étude sur les efforts maximaux soit parue en juillet 2020 (Fikenzer et coll.), ouvrant la porte à de nouveaux travaux potentiels. Toutefois, on notera qu’aucun groupe de recherche ne s’est intéressé aux populations d’athlètes de haut niveau.

Parmi les études où l’exercice était d’intensité sous-maximale, il y a celle des Catalans Pifarré et coll. (2020). Ils ont fait diverses mesures physiologiques chez huit sujets (dont deux femmes), au repos avec ou sans masque, et pendant un test de Ruffier (21 flexions des jambes) dont :
• fréquence cardiaque,
• concentrations d’O2 et de CO2 à l’intérieur du masque,
• saturation du sang artériel en O2.

Cette étude n’est certes pas parfaite : petit nombre de sujets; aucun athlète parmi les participants; aucune information sur les types de masque utilisés; tests et mesures effectués à l’extérieur, dans des parcs; aucune standardisation de l’environnement; intensité de l’exercice peu élevée (6-8 METs). Ce travail permet tout de même de se faire une idée de certains effets physiologiques.

La concentration en O2 à la bouche au repos et sans masque était de 20,9 %. Tandis qu’avec le port du masque, cette valeur diminuait à 18,3 % au repos, et 17,8 % au terme du test de Ruffier. Quant à la concentration de CO2 à la bouche, elle était de 464, 14 162 et 17 000 ppm, respectivement au repos sans masque, au repos avec masque et après l’effort avec masque. Les auteurs concluent que le port d’un masque à l’effort s’accompagne d’une légère hypoxie et d’une hypercapnie marquée.

Quant à la saturation de l’hémoglobine en O2, elle était de 97,6 % au repos sans masque, mais après un effort physique avec masque, elle était réduite à 92,1 %. Les auteurs avancent que chez certaines personnes, un tel taux de saturation de l’hémoglobine en O2 peut provoquer de l’inconfort et des symptômes. Reste à savoir si c’est également le cas pour des athlètes habitués à faire de l’exercice à intensité élevée.

Dans une étude plus rigoureuse, Roberge et coll. (2012) avait montré que chez des adultes sains (non-athlètes), porter un masque pendant une séance d’une heure de marche d’un bon pas (5,6 km/h) sur tapis roulant ne s’accompagne d’aucune réaction physiologique suffisamment marquée pour avoir des conséquences cliniques (étaient mesurés : température centrale, à la joue et au tronc; fréquences cardiaque et respiratoire; effort et stress thermique perçus).

Fait intéressant à noter, Johnson et coll. (1995) avait observé que chez des travailleurs sains (non-athlètes), l’inconfort et l’aptitude au travail sont plus affectés par le port du masque chez les sujets anxieux que chez les non anxieux.

Person et coll. (2018) ont montré que porter un masque pendant un test maximal de marche de six minutes (test courant en pneumologie) accroît la dyspnée (sensation de gêne respiratoire), mais sans réduire la distance que les patients pouvaient franchir pendant le test.

Dans le cadre de sa maîtrise à l’UQAM, Charbonneau-Rousseau (2018) a montré que porter un masque de protection respiratoire (courant dans le secteur de la construction) pendant l’effort (intensité correspondant à 30 à 80 % de la fréquence cardiaque de réserve) s’accompagne d’une augmentation de la fréquence respiratoire, de la pression en fin d’expiration, et de la perception de l’effort. Il attribue ces effets au microenvironnement créé par le masque, qui affecte la température ainsi que les concentrations en O2 et en CO2 de l’air. Sa recherche n’a toutefois pas fait ressortir d’effet du masque de protection respiratoire sur la fréquence cardiaque, la température interne, l’oxygénation cérébrale et le temps de réaction.

Attention! Le contexte des études de Person et coll. et de Charbonneau-Rousseau ne reflète pas l’intensité de l’entraînement d’athlètes de haut niveau, et ne satisfait donc pas les standards sportifs. Il est alors possible que les conclusions ne soient pas les mêmes.

L’examen des connaissances fondamentales en physiologie de la respiration fait ressortir que la relation entre, d’une part, le pourcentage d’O2 dans l’air atteignant les alvéoles pulmonaires (où se font les échanges gazeux avec le sang) et, d’autre part, la saturation artérielle en O2, n’est pas linéaire, de sorte qu’une réduction importante de la concentration d’O2 dans l’air alvéolaire ne provoque qu’une petite diminution de la saturation en O2 de l’hémoglobine.

Pendant l’effort, le besoin en O2 est évidemment accru, d’où une augmentation de la profondeur et de la fréquence des cycles inspiration-expiration. Et s’il y a obstruction à l’entrée d’air comme quand on porte un masque, le système nerveux sympathique s’active encore plus : on ventile plus d’air et la fréquence cardiaque augmente pour assurer un apport suffisant d’O2 aux cellules qui en ont besoin, notamment celles des muscles actifs.

On pourrait penser que porter un masque augmente l’espace mort respiratoire (volume d’air non alvéolaire, qui ne permet donc pas les échanges gazeux avec le sang) et ainsi réduit la performance. Dans l’étude de Jensen et al. (2011), bien que l’espace mort augmenté par le port du masque facial provoque une dyspnée précoce, le couplage neuromusculaire et neuro-ventilatoire du système respiratoire est resté relativement préservé pendant l’exercice, d’où une aptitude à l’effort préservée.

Même si le nombre d’études sur les contraintes physiologiques associées au port d’un masque antiviral à l’effort n’est pas très élevé, elles font globalement ressortir les conclusions suivantes lors d’exercices sous-maximaux :
• la perception de l’effort est accentuée,
• l’inconfort découle un peu de la résistance pendant l’inspiration et l’expiration, mais encore plus de la chaleur et de l’humidité, de l’accumulation de sueur, et de la pression mécanique sur le visage,
• l’augmentation des fréquences respiratoire (pour contrer les effets de la résistance à l’entrée d’air) et cardiaque sont généralement bien tolérées chez les personnes en santé,
• en dépit de ces ajustements physiologiques, la performance physique est généralement très peu ou pas affectée,
• les sujets ont tendance à s’accommoder du port du masque après 30 à 60 minutes.

Pour conclure sur les efforts sous-maximaux, citons la Britannique Deborah Baines, conseillère de The Physiological Society (traduction libre) : « Alors, un masque facial limite-t-il le flux d’air dans les poumons? L’essentiel est que, s’il est utilisé correctement, ce n’est pas le cas. Si le débit d’air est restreint, moins de millilitres d’O2 atteignent les alvéoles, et moins de CO2 est expiré. Bien que cela réduise le pourcentage d’O2 dans nos poumons et augmente celui de CO2, le corps détecte ces changements et stimule la respiration. Cela signifie que vous prendrez plus de respirations et que l’oxygénation et la saturation du sang seront maintenues. En d’autres termes, les masques faciaux en papier et les revêtements faciaux en tissu n’affectent pas la saturation en O2 du sang. Veuillez donc passer le mot et contrer la désinformation que vous voyez sur Internet ou entendez dans les conversations. »

Bref, pour les sujets sains (c.-à-d. fonctions physiologiques et cardiopulmonaires normales), l’organisme compense la restriction mécanique due au masque pour produire le travail désiré, si l’intensité de l’exercice est sous-maximale.

Concernant les activités d’intensité maximale, l’histoire pourrait être différente. En effet, l’adaptation du corps à la limitation du flux d’air lors du port du masque facial se fait principalement via la stimulation compensatoire de certains éléments (ex. : la fréquence respiratoire). Or, lors d’efforts maximaux prolongés ou répétés, ces éléments sont à leur maximum (ou presque), ce qui pourrait limiter les compensations possibles. Il en est question dans une autre fiche savoir-sport (Fiche S893: http://www.insquebec.org/formation/savoir-sport/?requestedFiche=S893). Elle fait ressortir qu’en cas d’activités aérobies d’intensité maximale (proche du VO2max), le sujet ne sera pas en mesure de trouver des compensations physiologiques, d’où une réduction de l’aptitude à l’effort intense et, donc, de la performance. On ne sait pas si ce type de limitation présente des risques pour la santé.

Source primaire

Pifarré F. et coll. (sous presse). COVID 19 and mask in sports. Apunts Sports Medicine.

Rédacteur

Evelyne Dubé, M. Sc., INS Québec

Éditeur

François Bieuzen, Ph.D., physiologiste de l’exercice, INS Québec

Mots-clés

charge d’entraînement, Coronavirus, COVID-19, Masque protecteur, Pandémie

Lectures suggérées

Arthur T et coll. (1995) Influence of Anxiety Level on Work Performance With and Without a Respirator Mask. American Industrial Hygiene Association Journal 56: 858-65.

Baines D (2020) Are face masks reducing the oxygen in your blood? The Physiological Society
www.physoc.org/blog/are-face-masks-reducing-the-oxygen-in-your-blood/

Charbonneau-Rousseau S. (2018) Contraintes physiologiques associées au port d’un appareil de protection respiratoire de type P100 selon l’intensité physique et la température ambiante. Mémoire de maîtrise, UQAM.

Fikenzer S et coll. (2020) Effects of Surgical and FFP2/N95 Face Masks on Cardiopulmonary Exercise Capacity. Clinical Research in Cardiology: Official Journal of the German Cardiac Society
https://doi.org/10.1007/s00392-020-01704-y

Johnson A. T. et coll. (1995) Influence of anxiety level on work performance with and without a respirator mask. Advances in industrial & environmental hygiene. American Industrial Hygiene Association Journal 56:858-65.

Kim J. H. et coll. (2013) Pulmonary and heart rate responses to wearing N95 filtering facepiece respirators. American journal of infection control 41:24-7.

Mauritzson-Sandberg E. (1991) Psychological effects on prolonged use of respiratory protective devices in children. Ergonomics 34:313-9.

Person E. et coll. (2018) Effet du port d’un masque de soins lors d’un test de marche de six minutes chez des sujets sains. Revue des Maladies Respiratoires 35:264-8.

Roberge R. J. et coll. (2012). Absence of consequential changes in physiological, thermal and subjective responses from wearing a surgical mask. Respiratory Physiology & Neurobiology 181:29-35.

Jensen D et coll. (2011). Effects of dead space loading on neuro-muscular and neuro-ventilatory coupling of the respiratory system during exercise in healthy adults: Implications for dyspnea and exercise tolerance. Respir. Physiol. Neurobiol. 179:219-26.

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