T24 - Les variables psychologiques sont en relation avec les désordres alimentaires chez les escaladeurs de haut niveau
Dans certaines disciplines sportives, on a récemment constaté chez les athlètes de haut niveau une recrudescence des troubles du comportement alimentaire. L’escalade, en tant que sport s’inscrivant dans la verticalité, fait partie de ces disciplines critiques. En effet, cette activité nécessite un rapport force/poids extrêmement important et qui dit muscle dit puissance, mais aussi poids. Cette étude s'intéresse aux déterminants psychologiques ayant une incidence sur les désordres alimentaires chez les escaladeurs. Le concept de soi physique est par ailleurs considéré comme un facteur-clé dans l’émergence des troubles alimentaires. Par concept de soi physique, on entend l’estimation multidimensionnelle qu’une personne fait de son corps (Deusinger, 1998). L’estime de soi se nourrit aussi du concept de soi physique. Ce lien devrait pouvoir être observable, surtout chez les sportifs d’élite pour qui le corps joue un rôle essentiel. Le perfectionnisme est également un élément important dans l’émergence et l’ancrage des troubles alimentaires. La question centrale de cette recherche porte sur les facteurs psychologiques liés à la problématique du comportement alimentaire chez les meilleurs escaladeurs suisses.
Méthodologie :
Sujets : Les escaladeurs – 17 femmes et 24 hommes appartenant à l’élite suisse – ont participé volontairement à l’étude. La population a été ensuite placée en deux groupes : le groupe normal (N = 29 ; âge M = 16.98, écart type = 3.49) et le groupe à risque (N = 12 ; âge M = 16.96, écart type = 3.53). La classification des groupes a été faite à partir des critères suivants : IMC (indice de masse corporelle) actuel < 18.5 chez les personnes âgées de plus de 18 ans et IMC < troisième percentile chez les plus jeunes ; nette diminution de l’IMC au cours des deux dernières années ; peur de prendre du poids. Le groupe à risque comprend les personnes qui satisfont au moins un de ces critères.
Outil :
Les sujets remplissent trois échelles : Les « Frankfurter Körperkonzeptskalen » (Deusinger, 1998) pour mesurer le concept de soi physique. L’échelle de Frost (Frost, Marten, Lahart et Rosenblate, 1990 ; Stöber, 1998) pour mesurer le perfectionnisme. L’échelle de l’estime de soi de Rosenberg (Rosenberg, 1965 ; Ferring et Filipp, 1996).
Résultats :
Dans le groupe à risque, la proportion de femmes touchées est supérieure à celle des hommes. Perfectionnisme : le groupe à risque présente une attitude nettement plus perfectionniste. Concept de soi physique : les sportifs enquêtés jugent en moyenne leur corps très positivement. L’aspect jugé le plus positif est l’efficience corporelle ; l’aspect jugé le plus négatif est l’acceptation du corps par autrui. La seule différence significative entre les deux groupes apparaît dans l’échelle concernant l’acceptation de soi, le groupe à risque ayant une moyenne plus basse. La tendance du groupe à risque à percevoir moins positivement la plupart des dimensions mesurées peut aussi être établie. Estime de soi : le groupe à risque a nettement une moins bonne estime de soi. On relèvera toutefois que l’estime de soi du groupe à risque se situe encore dans la zone positive.
Conclusions :
La présente étude confirme ce qu’avance la littérature, à savoir que les femmes sont plus touchées que les hommes par les problèmes d’anorexie. Le groupe à risque présente une plus forte tendance perfectionniste. Ceci est en accord avec la littérature qui montre que les individus atteints d’un désordre alimentaire ont des valeurs importantes de perfectionnisme (Sundgot-Borgen, 2002). Le groupe normal affiche une estime de soi nettement plus positive que le groupe à risque. Ainsi, l’attitude perfectionniste du groupe à risque se reflète aussi dans la moins bonne acceptation que ses membres ont de leur propre corps. En conclusion, le rôle des variables psychologiques semble être un bon indicateur pour l’identification des sportifs menacés par les désordres alimentaires et mérite ainsi d’être davantage étudié. Même s’il est admis que l’activité sportive influence positivement les différentes variables investiguées, nous ne pouvons pas sous-estimer les problèmes alimentaires souvent liés au sport de haut niveau, d'autant plus chez de jeunes athlètes. En entraînement sportif de haut niveau, cela impliquerait pour l'entraîneur de s'intéresser et surveiller ces variables psychologiques afin de réduire l'apparition des troubles de l'alimentation chez le sportif.
Source primaire
Antonini PR, Mehr A et coll. Menace des désordres alimentaires chez les escaladeurs de haut niveau : déterminants psychologiques. Revue suisse de médecine et de traumatologie du sport 2004;2:66-70.
Rédacteur
Roberta Antonini Philippe
Docteur en sciences et techniques des activités physiques et sportives, OFSPO, Haute école fédérale de sport Macolin, Suisse
Éditeur
Ghislaine Quintillan
Docteur en sciences de l'éducation, SRI INSEP
Mots-clés
Escalade, désordre alimentaire, estime de soi, perfectionnisme, concept de soi physique, santé de l'athlète.
Lectures suggérées
Byrne S, McLean N. Eating disorders in athletes: A review of the literature. J Science Med Sport 2001;4:145-159.
Hausenblas HA, Carron AV. Eating disorders indices and athletes: An integration. J Sport Exercise Psychol 1999;21:230-258.
Sundgot-Borgen J. Weight and eating disorders in elite athletes. Scand J Med Sci Sports 2002;12:259-260.
Frost RO, Marten PA et coll. The dimensions of perfectionism. Cognitive Therapy and Research 1990;14:449-468.
Deusinger FM. Die Frankfurter Körperkonzeptskalen. Göttingen;1998.
Stöber J. The Frost multidimensional perfectionism scale revisited: More perfect with four (instead of six) dimensions. Personality and Individual Differences 1998;24:481-491.
Rosenberg M. Society and the adolescent self-image. Princeton, NJ: Princeton University Press;1965.
Ferring D, Filipp S.-H. Messung des Selbstwertgefühls: Befunde zur Reliabilität, Validität und Stabilität der Rosenberg-Skala. Diagnostica 1996;42: 284-292.