S42 - Deux sources d'erreurs perceptives possibles des arbitres assistants de football en jugeant les hors jeu
INTRODUCTION
En football, la règle du hors-jeu (voir figure 1: https://notyss.com/savoirsport/downloadfile?id=685&fichier=S42_figure1.doc ) spécifie qu'un joueur est en position de hors jeu s'il est situé plus près de la ligne de but adverse que le ballon et l'avant dernier défenseur adverse, au moment où la balle est touchée ou jouée par un partenaire.
En football, l'arbitre assistant (AA) lève parfois son drapeau pour indiquer un hors-jeu quand la position de l'attaquant réceptionneur du ballon est en jeu au moment de la passe, un cas que Oudejans et al. (2000) nomment erreur de drapeau (ED), et parfois ne lève pas son drapeau quand la position de l'attaquant réceptionneur est effectivement hors jeu au moment de la passe (erreur de non drapeau, END). Une explication de ED pourrait être que les erreurs résulteraient du retard temporel pris par les arbitres assistants pour déplacer leur regard de l'attaquant passeur à l'attaquant réceptionneur.
En équipant la tête de l'arbitre assistant d'une mini caméra, Oudejans et al. (2000) ont montré que les erreurs ne s'accompagnaient pas de déplacements du regard et ont proposé que les erreurs fussent probablement causées par un effet de géométrie optique. Cet effet résulterait de l'angle de vision adopté par les arbitres assistants qui se positionnent en moyenne à 1,2 m en avant de la ligne de hors jeu (voir figure 2: https://notyss.com/savoirsport/downloadfile?id=685&fichier=S42_figure2.doc ).
Nous proposons que l'effet "flash lag" (un objet en mouvement est perçu spatialement en avance par rapport à sa position réelle définie par un marqueur temporel) soit un candidat à l'explication des erreurs commises par les arbitres assistants. Le moment où l'attaquant passeur délivre sa passe est un événement brusque qui joue le rôle de marqueur temporel et définit l'instant où la position de l'attaquant receveur doit être jugé par l'arbitre l'assistant (voir figure 3: https://notyss.com/savoirsport/downloadfile?id=685&fichier=S42_figure3.doc ). Ainsi, le phénomène de "flash lag" pourrait s'ajouter à l'effet de géométrie optique conduisant à un biais d'ensemble en faveur de ED par rapport à END (voir figure 4: https://notyss.com/savoirsport/downloadfile?id=685&fichier=S42_figure4.doc ).
L'intérêt n'est pas ici d'apporter une contribution à la compréhension du phénomène de "flash lag", mais de montrer comment ce phénomène confiné jusqu'ici au laboratoire peut conduire à des erreurs perceptives dans des situations de la vie courante.
RÉSULTATS ET DISCUSSION
Sur un total de 564 erreurs enregistrées, la proportion de ED/END est de 324/240 significativement différente du 282/282 prédit par l'hypothèse du "flash lag".
Une asymétrie n'est pas prévue par l'effet de pure géométrie optique proposé par Oudejans et al. (2000). Mais en prenant en compte l'effet "flash lag" dans la perception de l'arbitre assistant, on peut prédire une augmentation de ED dans les deux conditions de trajectoires de course droite (TD) et gauche (TG) comme le montre la figure 4, conduisant à une proportion inégale END/ED en TG < ED/END en TD. Nous avons trouvé que le rapport END/ED en TG = 65/266 est effectivement statistiquement plus faible que le rapport ED/END en TD = 58/175 comme le prédit l'hypothèse du "flash lag".
L'avance perceptive prédite par la seule contribution de l'effet "flash lag" est le résultat de la vitesse de course de l'attaquant et de l'amplitude du "flash lag". Nous estimons cette avance entre 0,02 m et 0,64 m (D sur la figure 3) si l'on se réfère aux vitesses des attaquants comprises entre 2 et 8 m/s et aux amplitudes de "flash lag" mesurées en laboratoire de 10 ms à 80 ms.
CONCLUSION
Nous proposons donc que les erreurs de jugement des arbitres assistants sur les hors-jeu puissent provenir non seulement des effets de géométrie optique, mais également d'erreurs perceptives dues à l'effet "flash lag". À la différence du modèle géométrique, la contribution du "flash lag" aux erreurs des arbitres assistants ne dépend pas de l'angle de vue adopté. Un biais en faveur de l'ED est également prévisible même si les arbitres assistants se placent dans l'alignement de la ligne de hors jeu (voir figure 3: https://notyss.com/savoirsport/downloadfile?id=685&fichier=S42_figure3.doc ).
Malgré l'implication évidente de plusieurs facteurs dans les erreurs de jugement des arbitres assistants, on peut penser que la contribution de l'effet "flash lag", si elle n'est pas décisive, est pour le moins vraisemblable.
Source primaire
Flag errors in soccer games : the flash-lag effect brought to real life. BALDO M.-V.-C., RANVAUD R.-D. & MORYA E. 2002 Perception, volume 31, pp 1205-1210.
Chantalle Thépaut-Mathieu
Docteur es sciences, chef du département des sciences du sport, INSEP http://sciences.campus-insep.com
Mots-clés
Arbitre, erreur, football, hors jeu, Perception, Analyse de la performance
Lectures suggérées
Baldo M V C, Klein S A, A general delay model for the flash-lag effect. 2001 Investigative Ophthalmology and Visual Science, 42(4) S620.
Khurana B, Watanabe K, Nijhawan R, The role of attention in motion extrapolation : Are moving objects "corrected" or flashed objects attentionally delayed? 2000 Perception, 29, 675-692.
Oudejans R R D, Verheijen R, Bakker F C, Gerrits J C, Steinbrückner M, Beek P J, Errors in judging "offside" in football - Optical trickery can undermine the assistant referee's view of this ruling. 2000 Nature, 404, 33.
Whitney D, Murakami I, Cavanagh P Illusory spatial offset of a flash relative to a moving stimulus is caused by differential latencies for moving and flashed stimuli. 2000 Vision Research, 40, 137-149.