S46 - Comparaison des propriétés viscoélastiques des muscles ischio-jambiers chez des sujets présentant une souplesse normale et chez des sujets peu souples
Il est communément admis que le manque de souplesse pourrait prédisposer aux blessures en fragilisant les tissus musculo-tendineux, lorsqu’ils sont soumis aux contraintes de la pratique sportive. Généralement, chez l’homme, " le manque de souplesse " est déterminée par l’amplitude maximale du mouvement articulaire (ROM). Des études récentes, menées chez l’homme, ont permis de décrire le comportement des tissus musculo-tendineux soumis à un étirement, en termes mécaniques. Les notions de raideur, de viscosité, d’énergie absorbée pendant l’étirement ont pu être quantifiées, permettant ainsi de mieux caractériser les capacités de résistance mécanique des matériaux musculo-tendineux.
Le but de ce travail est de comparer les caractéristiques mécaniques des muscles ischio-jambiers chez des coureurs de longue distance, présentant des niveaux de souplesse différents. Ces informations devraient, en outre, nous permettre de réexaminer le lien hypothétique entre " manque de souplesse " et fragilité musculo-tendineuse.
PROTOCOLE
18 coureurs d’endurance ont été repartis en 2 groupes sur la base du " toe-touch test ". Ce test consiste, sans préparation préalable, à partir de la position debout pieds joints, à essayer de toucher le sol avec les doigts en fléchissant le tronc vers l’avant, tout en maintenant rigoureusement les genoux en extension complète.
- Les sujets descendant les doigts à moins de 20 cm du sol sont classés dans le groupe dit " normal ".
- Les sujets ne pouvant pas descendre les doigts à moins de 20 cm du sol sont affectés au groupe dit " peu souple ".
La section transversale des ischio-jambiers est estimée par une technique d’imagerie 2D par Résonance Magnétique.
Pour mesurer les paramètres mécaniques (raideur, viscosité), les sujets sont placés dans un ergomètre, type isocinétique, imposant la vitesse du mouvement. Le genou est étendu passivement, à la vitesse de 5°. s-1, jusqu’à la position finale (phase dynamique) où il est maintenu pendant 90 s (phase statique). La position d’extension maximale est déterminée, lorsque le sujet signale la première sensation de douleur (seuil de tolérance à l’étirement). La résistance passive offerte à l’étirement, par les muscles ischio-jambiers pendant l’extension du genou, est mesurée par l’ergomètre. L’activité musculaire (EMG) des ischio-jambiers est enregistrée pendant toute la manipulation.
RÉSULTATS
Les sujets classés dans le groupe " peu souple" atteignent un angle maximal d’ouverture du genou plus faible que les sujets normaux. De plus, la raideur finale et la tension maximale de la phase dynamique sont plus faibles chez les sujets peu souples (voir figure 1: https://notyss.com/savoirsport/downloadfile?id=681&fichier=S46_figure1.doc ), indiquant qu’ils possèdent une tolérance à l’étirement moins bonne. L’analyse comparée des courbes tension-allongement montre que l’énergie totale stockée, pendant toute la phase dynamique, est plus importante chez les sujets normaux. Cependant, il faut souligner que, sur les plages angulaires communes aux deux groupes (plage correspondant au début de l’étirement), la relation tension-allongement (voir figure 2: https://notyss.com/savoirsport/downloadfile?id=681&fichier=S46_figure2.doc ) révèle une raideur plus grande pour les sujets peu souples, ainsi qu’une capacité d’absorption d’énergie plus élevée. Ceci suggère une moindre fragilité musculo-tendineuse des sujets peu souples, au début de l’étirement.
En outre, la surface transversale des ischio-jambiers n’étant pas identique pour les deux groupes, le stress de l’étirement a été rapporté à la surface musculaire (Nm/cm2) pour évaluer le rôle jouée par la masse musculaire, dans l’expression de la raideur musculo-tendineuse. Selon ces calculs, la valeurs de raideur se révèle être indépendante de la surface transversale des ischio-jambiers, suggérant ainsi que la différence de souplesse entre les sujets, pourrait être due aux propriétés intrinsèques du tissu musculaire.
CONCLUSION
La manque de souplesse est généralement reconnu comme un facteur de risque d’accident musculaire et/ou tendineux. À partir de ces résultats, ce jugement doit être nuancé car, pour les amplitudes articulaires faibles, les sujets peu souples affichent une tension résistante plus importante (voir figure 1: https://notyss.com/savoirsport/downloadfile?id=681&fichier=S46_figure1.doc ) et donc possèdent, sur cette plage angulaire, une capacité d’absorption d’énergie plus importante. À l’inverse, sur les angles maximaux d’étirement, ce sont les sujets les plus souples qui sont capables de stocker une quantité absolue d’énergie plus importante.
NOTE DE LECTURE
Ce document doit nous amener à être plus réservé sur la recherche systématique de la souplesse dans les pratiques sportives. Il convient en effet, pour chaque sport, d’analyser préalablement sur quelles plages angulaires les articulations sont sollicitées (détermination de la ROM utile), et quelles sont leurs rôles dans les mécanismes d’absorption et/ou de restitution d’énergie. Il peut être en effet contre-productif de chercher à assouplir une articulation dont le rôle principal est, par exemple, d’amortir un choc sur une faible amplitude (i.e. cheville en course à pied), avant un effort. Dans ce cas, un étirement post-effort de ces articulations pourrait être mieux indiqué.
Source primaire
Determinants of musculoskeletal flexibility : viscoelastic properties, cross-sectional area, EMG and stretch tolerance MAGNUSSON S.-P. ; SIMONSEN E.-B. ; AAGARD P. ; BOESEN J. ; JOHANNSEN F. and KJAER M. 1997 Scand. J. Med. Sci. Sports. n° 7, pp 195-202.
Rédacteur
Christian Miller
Docteur es Sciences de la vie, Laboratoire de Biomécanique et de Physiologie, INSEP
Éditeur
Chantalle Thépaut-Mathieu
Docteur es sciences, chef du département des sciences du sport, INSEP http://sciences.campus-insep.com
Mots-clés
articulation, élasticité musculaire, Étirement, membre inférieur, musculation, souplesse, tendon, préparation à la performance
Lectures suggérées
MILLER C. Comportement mécanique des muscles ischio-jambiers soumis à un étirement maximal. Apport de l’analyse biomécanique à la définition de ces qualités musculaires. [ fiche savoir-sport.org (site Internet) ]
GEOFFROY C. Guide des étirements du sportif. 1999 Éd Vigot - Paris