S89 - En course de demi-fond, le vainqueur n’est pas toujours le plus rapide!
INTRODUCTION
En course de demi-fond, la capacité de performance est traditionnellement associée à un groupe d’indicateurs physiologiques tels que la consommation maximale d’oxygène, la puissance maximale aérobie, le seuil anaérobie et l’économie de course.
La vitesse moyenne pouvant être maintenue par un athlète lors d’une épreuve, estimée à l’aide du concept de vitesse critique est également un des facteurs de prédiction de la performance. La vitesse critique correspond à la vitesse maximale pouvant être maintenue par l’athlète sur différentes distances sans provoquer de fatigue excessive, associée au développement inexorable d’une acidose métabolique. La vitesse critique peut être estimée en calculant la courbe individuelle vitesse-durée à partir des durées maximales d’efforts à différentes vitesses imposées.
Si ces indicateurs ont fait l’objet de nombreuses investigations scientifiques et sont couramment utilisés par les entraîneurs pour optimiser la performance de leurs athlètes, très peu d’attention a été portée, sur un autre déterminant important de la performance : la sélection du couloir de course et le positionnement tactique de l’athlète sur la piste.
LE CHOIX DU POSITIONNEMENT TACTIQUE INFLUENCE LA DISTANCE TOTALE PARCOURUE
L’objectif d’un athlète participant à une épreuve chronométrée, est généralement de parcourir la distance imposée en moins de temps que ses concurrents, ou dans un temps représentant un record, personnel ou autre. Pour y parvenir, l’athlète doit utiliser une tactique de course lui permettant d’exploiter au maximum ses ressources métaboliques et faire en sorte que le moment où survient l’épuisement de ces ressources corresponde avec le franchissement de la ligne d’arrivée.
La distance de compétition étant imposée par les organisateurs et la vitesse moyenne maximale pouvant être maintenue par l’athlète sur cette distance relativement stable tout au long de l’épreuve (vitesse critique), la durée totale de l’effort à accomplir est finalement déterminée par la distance totale parcourue par l’athlète durant la totalité de l’épreuve.
En effet, une piste d’athlétisme étant constituée de deux demi cercles et de deux lignes droites, la distance couverte par tour de piste peut être calculée par la formule 2pr, auquel on ajoute la longueur des deux lignes droites. Ainsi, si un athlète est positionné 25 cm à droite de la ligne de référence de la piste (limite gauche du couloir 1), il parcours, à chaque tour de piste, la distance supplémentaire de 1,57 m (6,28 x 0,25). Par conséquent, si dans une épreuve de 1500 m un coureur évolue à l’intérieur du couloir 2, il parcours la distance supplémentaire de 7,04 m à chaque tour de piste. Pour rester au contact de ses adversaires, l’athlète devra – si possible – augmenter sa vitesse moyenne sans dépasser sa vitesse critique calculé pour l’épreuve en cours.
Ainsi, s’il est impossible pour un athlète de parcourir une distance inférieure à la distance de compétition, il lui est facile de couvrir une distance supérieure à la distance de compétition en s’éloignant de la ligne de référence de la piste. Cette tactique de positionnement, bien que fréquemment employée pour surveiller un adversaire ou se positionner en vue d’une accélération ou d’un sprint, oblige l’athlète à couvrir une distance plus importante que la distance minimale imposée par l’événement et peut avoir des répercussion importantes sur la performance finale.
LA DISTANCE TOTALE PARCOURUE EN COMPÉTITION ET LE RÉSULTAT FINAL
Pour illustrer ce phénomène, deux épreuves d’athlétisme (800 m et 5000 m) disputées lors des Jeux Olympiques de Sydney (2000) ont été analysées. L’enregistrement vidéo de chaque épreuve a été visualisé au ralenti et les distances totales parcourues par les deux premiers athlètes de chaque épreuve ont été calculées. Les temps officiels ont été utilisés pour calculer les vitesses moyennes maintenues par les athlètes lors des différentes épreuves.
Lors de la finale du 800 m masculin, l’athlète allemand N. Schuman, vainqueur de l’épreuve en 1:45.08 a couru la totalité de la course dans le couloir 1, couvrant ainsi la distance totale de 802 m à la vitesse moyenne de 7,63 m/s. Le médaillé d’argent et grand favoris de la course, le danois W. Kipketer à, pour sa part, couru principalement dans les couloirs 2 et 3. Il a parcouru la distance totale de 813 m en 1:45.14, soit à la vitesse de moyenne 7,73 m/s.
L’analyse de ces informations permet de conclure que malgré sa capacité à maintenir une vitesse moyenne plus élevée, le positionnement sur la piste de W. Kipketer pendant l’épreuve lui a sans doute coûté la victoire car sa vitesse moyenne de 7,73 m/s ramené à 802 m, distance parcourue par le vainqueur, aurait pu lui permettre de réaliser un temps de 1:43.46.
L’analyse détaillée de la finale du 5000 m masculin fournit un exemple plus subtil de l’effet de la distance totale parcourue par l’athlète sur l’issue de la compétition. Cette course a en effet été remportée par l’éthiopien M. Wolde qui a couru proche de la ligne de référence pendant la plus grande partie de la course. Il a couvert la distance totale de 5022 m en 13:35.49 soit à la vitesse de 6,158 m/s. Le médaillé d’argent et favoris de la course, l’algérien A. Saidi-Sief est, pour sa part, resté positionné à l’extérieur du couloir 1 (à une épaule du futur vainqueur) et a couvert la distance totale de 5028 m en 13:36.26, soit à la vitesse de 6,160 m/s. Ramenées à la distance exacte de 5000 m les temps respectifs de M. Wolde et de A. Saidi-Sief auraient été de 13:31.91 et de 13:31.65.
Là encore, l’athlète ayant couvert la plus courte distance à remporté l’épreuve, malgré une vitesse moyenne inférieure à celle de son adversaire immédiat.
CONCLUSION
En course sur piste, la performance d’un athlète dépend non seulement de l’optimisation de son potentiel bioénergétique et neuromusculaire et de sa gestion de l’effort en compétition, mais également de sa stratégie de positionnement tactique sur la piste pendant l’épreuve.
Bien que cette étude ne porte que sur un nombre très limité d’athlètes et d’événements, c’est cependant l’une des premières qui démontre l’importance de la stratégie du positionnement tactique de l’athlète sur la performance finale.
Pour optimiser sa performance, l’athlète doit faire en sorte de minimiser la distance totale parcourue en évitant de changer de couloir et restant le plus proche possible de la ligne de référence (intérieur du couloir 1) pendant la totalité de l’épreuve.
Source primaire
Jones AM, Whipp BJ. Bioenergetic constraints on tactical decision making in middle distance running Br J Sports Med; 36(2):102-4, 2002.
Rédacteur
François Gazzano
B.Sc., Services des Sports Universitaires, Université de Moncton, Centre Multisport Atlantique et Athletemonitoring.com www.athletemonitoring.com
Éditeur
Guy Thibault
Ph. D., Direction du sport et de l’activité physique, gouvernement du Québec; Département de kinésiologie de l’Université de Montréal; et INS Québec
Mots-clés
Stratégie, tactique de course, demi-fond, fond, vitesse critique
Lectures suggérées
Hill DW. The critical power concept. A review Sports Med 16(4):237-54, 1993.
Billat LV et Koralsztein JP Significance of the velocity at VO2max and time to exhaustion at this velocity Sports Med 22(2):90-108, 1996.
Fukuba Y et Whipp BJ A metabolic limit on the ability to make up for lost time in endurance events J Appl Physiol 87(2):853-61, 1999.
Mattern CO et coll. Impact of starting strategy on cycling performance Int J Sports Med 22(5):350-5, 2001.