S143 - L’entretien d’auto-confrontation reste utile pour analyser des interactions entraîneur-athlète : un exemple en tir à l’arc de haut niveau
Les études conduites dans la dernière décennie dans le domaine de l'entraînement sportif s’inscrivent principalement dans trois approches :
- une approche comportementaliste centrée sur la dimension instructive de la relation (Douge & Hastie, 1993),
- une approche examinant les comportements de leadership des entraîneurs à partir de questionnaires (Chelladurai, 1993),
- et une approche étudiant les connaissances des entraîneurs experts, à partir d’entretiens en profondeur utilisant des questions ouvertes et des relances improvisées (Côté, Salmela, Trudel, Baria & Russell, 1995).
Plus récemment, des études de chercheurs français impliqués dans des collaborations avec plusieurs fédérations sportives (Avanzini & Saury, 1999 ; Saury, Durand & Theureau, 1997 ; Sève & Durand, 1999) se sont inscrites dans une perspective ergonomique de l’entraînement, en faisant référence au cadre théorique du cours d’action (Theureau, 1992).
Le cadre théorique du cours d’action, utilisé dans des recherches en ergonomie cognitive et en psychologie du travail, permet d’analyser l’activité des acteurs dans leur contexte. Deux types de données sont généralement recueillies :
- des données d’observation et d’enregistrement audio-vidéo directement recueillies en situation,
- et des verbalisations provoquées recueillies lors d’entretiens d’auto-confrontation.
Ce type d’entretien consiste à confronter une personne à sa propre activité (généralement grâce à un support vidéo) le plus rapidement possible, après un événement particulier. Un questionnement spécifique invite la personne à décrire finement son activité (i.e., ses comportements, communications, pensées, sentiments, interprétations) dans des situations particulièrement significatives pour elle. Ce cadre théorique et méthodologique a été utilisé dans la présente étude pour analyser l’activité collective entraîneur-athlète lors de compétitions de tir à l’arc masculin de haut niveau.
La méthode suivante a été utilisée. Un entraîneur expert de tir à l’arc masculin et quatre archers de haut niveau ont volontairement pris part à l’étude. Les données d’enregistrement en situation ont été recueillies grâce à un microphone HF porté par l’entraîneur et relié à une caméra vidéo. Ces données ont été complétées par des prises de notes. Au total, 22 : 30 min. de données ont été recueillies dans deux compétitions. Les données de verbalisations provoquées ont été recueillies lors d’entretiens d’auto-confrontation conduits séparément avec l’entraîneur, et avec chacun des quatre athlètes, dans les deux jours ayant suivi chaque compétition. Seules les séquences les plus significatives pour le participant ont été finement commentées.
L’analyse des données a consisté :
- dans un premier temps, à transcrire et à réorganiser les enregistrements réalisés en situation et lors des entretiens, de façon à restituer le décours temporel, le contexte, et l’activité des acteurs.
- dans un second temps, des unités significatives élémentaires ont été identifiées en termes de verbes d’action (e.g., demande à A. quels sont ses scores) et des récits réduits ont été constitués pour chaque acteur.
- enfin, des régularités d’ordre temporel (séquence) ou thématique (série) ont été identifiées après accord entre deux chercheurs.
Les résultats montrent :
Des régularités dans le cours d’action de l’entraîneur - Des séquences-types ont été identifiées et regroupées dans les macro-séquences suivantes :
- analyse de la performance de l’archer sans observation préalable,
- analyse de la performance de l’archer avec observation préalable,
- et intervention d’urgence.
Des régularités dans le cours d’action des athlètes - Des séquences-types ont été identifiées et regroupées dans les macro-séquences suivantes :
- maintien d’une routine de tir efficace,
- recherche individuelle de solutions,
- demande d’aide à l’entraîneur après une contre-performance non observée par l’entraîneur,
- demande d’aide à l’entraîneur après une contre-performance observée par l’entraîneur.
Des régularités dans le cours d’action collectif entraîneur-athlètes - Deux types de coordination des cours d’action de l’entraîneur et des athlètes ont été identifiés, selon que leurs préoccupations et interprétations étaient immédiatement convergentes, ou qu’elles faisaient l’objet de divergences, donnant lieu à une confrontation de points de vue et une négociation.
Cette étude met en évidence une grande interdépendance entre l’autonomie de l’athlète et la coopération entraîneur-athlète, lors de compétitions de haut niveau, à l’image de résultats déjà obtenus dans le domaine de la psychologie des organisations (De Terssac, 1990). Elle souligne le fait que cette coopération n’est pas donnée a priori, mais se construit en situation en fonction des contraintes temporelles et contextuelles.
Ce travail montre également l’intérêt d’un recours au cadre théorique et méthodologique du cours d’action pour analyser le coaching en sport. Plus précisément, le recueil de données en situation couplé à la procédure de l’entretien d’auto-confrontation autorise une prise de conscience de la part des acteurs susceptible d’améliorer la performance.
Source primaire
Coach-athlete interaction in elite archery competitions: An application of methodological frameworks used in ergonomics research to sport psychology. D’ARRIPE-LONGUEVILLE, F., SAURY J., FOURNIER J., & DURAND M. Journal of Applied Sport Psychology, 2001.
Rédacteur
Fabienne D’Arrippe-Longeville
Enseignant-chercheur - Laboratoire de Psychologie du Sport Doctorat en Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives Agrégation d’EPS, INSEP
Éditeur
Philippe Fleurance
Responsable du Laboratoire de Psychologie du Sport de l’INSEP
Mots-clés
Athlète de haut niveau, méthode d'entraînement, psychologie, relation entraîneur entraîné, relation inter-personnelle, Analyse de la performance, gestion de la compétition
Lectures suggérées
SAURY J., DURAND M. & THEUREAU J. L’action d’un entraîneur expert en compétition : étude de cas. Contribution à une analyse ergonomique de l’entraînement. Science et Motricité 21:21-35, 1997.
THEUREAU J. Le cours d’action : analyse sémiologique. Essai d’une anthropologie cognitive située. Berne : Peter LANG. 1992.
D’ARRIPE-LONGUEVILLE F. Les formes de travail collectif entre l’entraîneur et l’athlète. In: FLEURANCE P. & THILL E. (Eds), Guide pratique de la préparation psychologique du sportif. Paris : Vigot. 1998.
D’ARRIPE-LONGUEVILLE F. & FOURNIER J. Étude comparative des modalités d’interaction entraîneur-athlète en tir à l’arc masculin et en judo féminin de haut niveau. Avante 3:84-99 , 1998.
SÈVE C. & DURAND M. L’action de l’entraîneur de tennis de table comme action située. Avante 5:69-86.1999.