S601 - Le maintien de la rigidité de la jambe d’appui est déterminant lors des courses à vitesse maximale
Durant l'appui de course, les muscles agissant sur les articulations du genou et de la cheville sont alternativement étirés et raccourcis. Ce phénomène, que les physiologistes appellent le cycle étirement-raccourcissement (the strech-shortening cycle), traduit la mise en jeu du potentiel élastique des muscles et des tendons du membre inférieur. Ce processus de stockage-restitution d'énergie potentielle élastique permet d’améliorer le rendement de la course, et les différentes structures se comportent donc comme des ressorts.
Plusieurs études indiquent qu'il est approprié de représenter la jambe comme un système masse-ressort (spring-mass) consistant en un simple ressort linéaire attaché à une masse équivalant à la masse du sujet. Ce modèle décrit particulièrement bien les mécanismes de la course, notamment la propriété du système à résister à l'étirement appliqué.
L'assimilation de la jambe à un seul ressort est intéressante pour sa simplicité mais ignore la complexité d'un système comprenant plusieurs articulations, donc plusieurs ressorts avec, pour chacun, ses propriétés élastiques. Aussi certains chercheurs ont-ils également calculé la rigidité des différentes articulations de la jambe, mais, pour la plupart, avec des vitesses de course relativement basses. L'objet de l'article de Kuitunen et coll. est d'étudier la rigidité des articulations du genou et de la cheville chez des sprinters se déplaçant à vitesse élevée. Nous comparerons ces résultats à l'étude de Natta et Réga, réalisée avec des sportifs de haut niveau présentant des caractéristiques assez proches.
Dans l'article de Kuitunen et coll., les caractéristiques des 10 sprinters étudiés sont, en valeurs moyennes, les suivantes :
- 23 ans (± 4)?- 1,76 m (± 0,04)?- 71,8 kg (± 4,6)?- 10,91 s (± 0,29) comme meilleure performance au 100 m
Les coureurs sont étudiés sur une distance de 10 m à vitesse stabilisée, après une course d’élan. Ils doivent courir à 70 %, 80 %, 90 % et 100 % de leur vitesse maximale. Les chercheurs utilisent une plate-forme de force, des cellules photoélectriques, un enregistreur du signal électromyographique et un enregistrement vidéo à une fréquence de 200 Hz. Parmi les paramètres mesurés nous retiendrons :
- la vitesse de course
- le temps de contact au sol
- les forces de réaction du sol au cours de l'appui
- l'activité électromyographique des muscles de la jambe
- les angles articulaires
La rigidité verticale (k) est donnée par la formule suivante :
k = F/DL, où F est le pic de force verticale et DL le déplacement vertical du centre de gravité.
La rigidité articulaire est liée aux grandeurs de force, de bras de levier et d'angle articulaire (DM/DLq, variation du moment de force divisée par la variation de l'angle articulaire).
Les résultats de l'étude, statistiquement significatifs, montrent que, lorsque la vitesse de course augmente, la durée de l'appui diminue (de 0,131 à 0,094 s) et que le centre de gravité s'abaisse moins lors de l'appui (de 0,029 à 0,018 m). Ceci entraîne une augmentation de la rigidité verticale (de 103 à 171 kN.m-1), alors que la force de réaction verticale est restée inchangée. Au niveau articulaire, les résultats montrent également qu'avec la vitesse, la rigidité du genou augmente (de 17 à 24 N.m.deg-1) et que le genou se fléchit moins (d'où un plus petit déplacement angulaire au cours de la phase de freinage de l'appui, de 19° à 13°). Par contre, la flexion de la cheville n'est pas significativement modifiée (de 31° à 27°) et la rigidité de l'articulation ne varie pas lorsque la vitesse augmente. Cependant, il est intéressant de noter que, dans leur étude, les sujets qui possèdent la plus grande rigidité de la cheville sont ceux qui ont la durée d'appui la plus courte, et cela, à toutes les vitesses de course. La rigidité inchangée de la cheville, malgré une vitesse qui augmente et une durée d'appui qui se réduit de 28,2 %, serait due à la longueur du tendon d'Achille et à sa rigidité qui reste constante.
Cette étude n'a pas relevé de corrélation entre la rigidité du genou ou de la cheville avec la vitesse de course. La rigidité de ces deux articulations ne serait pas un facteur limitant la vitesse de course, à cause de la participation croissante des extenseurs de la hanche, qui augmentent leur puissance avec l'élévation de la vitesse de course. Cependant, une plus grande rigidité au niveau de la cheville et du genou permet une meilleure transmission du travail produit par les extenseurs de hanche, et une propulsion plus efficace. Cette affirmation est appuyée par le fait que, d’une part, la co-activation des muscles situés de part et d’autre de l’articulation du genou et de la cheville, et, d'autre part, la pré-activation des extenseurs de la jambe, augmentent avec la vitesse de course. Ces comportements ont pour effet de préparer la jambe à tolérer et à absorber la phase de freinage due à l'appui et de la rendre plus rigide au moment de l'impact avec le sol.
Les coureurs qui présentent la plus grande rigidité de la cheville ont, pour Kuitunen et coll., la durée d’appui au sol la plus courte, et, pour Natta et Réga, le déplacement du centre de masse au cours de l’appui, le plus court. Ces deux comportements, caractéristiques des meilleurs sprinters, sont en étroite relation. L'étude de Natta et Réga s'est intéressée à l'appui de course chez 11 sprinters d'un niveau de performance au 100 m (10,61 s ± 0,36) comparable à ceux de Kuitunen et coll. Après une course de 40 m à vitesse maximale, les auteurs ont mesuré un appui de course de 0,098 s (± 0,009) de durée, une flexion du genou de 13,91° (± 3,70) et de cheville de 22,73 ° (± 4,86) ; des valeurs proches de celles relevées par Kuitunen et coll. Les auteurs montrent que la rigidité de la cheville, exprimée par une moindre flexion à l'appui, est liée à un déplacement du centre de masse au cours de l'appui moins important, ainsi qu'à une distance de contact (Figure 1) par rapport à la verticale du centre de masse, également réduite. Ainsi, plus le contact se fait en avant du centre de masse, et plus la cheville se fléchit. En même temps, plus les forces et les impulsions exercées au sol sont importantes, afin de maintenir l'orientation du vecteur force résultant.
Ces deux études s'accordent sur l'intérêt de la rigidité de la jambe d’appui lors des sprints à vitesse élevée, et en particulier sur la relation entre la rigidité de la cheville et la brièveté de l'appui de course ; les résultats de Natta et Réga mettant notamment l'accent sur l'approche technique.
À la lumière de leurs résultats, il paraît opportun d’insister, dans le cadre de l'entraînement des sprinters, sur le travail musculaire sous forme de pliométrie, pour améliorer la force explosive des muscles du membre inférieur, en portant une attention particulière à la brièveté de l'appui au sol et à l'action de la cheville. Une grande rigidité articulaire peut être obtenue en limitant la flexion articulaire lors du contact au sol.
Dans le but de maintenir la rigidité de la cheville, l'efficacité en sprint nécessite de ne pas négliger le travail technique visant à réduire la distance de contact au moment de l'impact au sol. Cette pratique aura notamment l'intérêt d'assurer une économie d'effort optimale.
Source primaire
Kuitunen S, Komi PV et coll. Knee and ankle joint stiffness in sprint running. Med Sci Sports Exerc 2002;34(1):166-173.
Rédacteur
Chantal Réga
DEA en biomécanique et physiologie du mouvement, BEES 3e degré d’athlétisme, INSEP, département de l’orientation, de la formation et de l’accès à l’emploi (DOFE)
Éditeur
Françoise Natta
docteur en sciences de la vie, mention biomécanique et physiologie du mouvement, CAPEPS, INSEP, mission Recherche
Mots-clés
Rigidité, appui, cheville, genou, Vitesse
Lectures suggérées
Natta F, Réga C. Analyse dynamique et cinématique de la course de vitesse. Repères utiles pour l’entraînement. Rapports de recherches, ministère de la Jeunesse et des Sports, 2001.
Blickhan R. The spring-mass model for running and hopping. Journal of Biomechanics 1989;22 (11/12):1217-1227.?Farley CT, Gonzalez O. Leg stiffness and stride frequency in human running. Journal of Biomechanics 1996;29(2):181-186.
Thys H. Élasticité et rendement du geste sportif. Sciences et motricité 1987;1:22-25.